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Ibrahima OUEDRAOGO« J’ai tenté l’Espagne, j’ai échoué à Ségou »

Ibrahima OUEDRAOGO

« J'ai tenté l'Espagne, j'ai échoué à Ségou »

 

il a quitté son Burkina natal à l'âge de 16 ans pour tenter l'eldorado espagnol. Sa course a pris fin à la frontière Mauritano-Marocaine, mais il ne désarme pas. Il garde l'espoir qu'avec l'aide des filières de passeurs, un jour ou l'autre, il se retrouvera en Espagne pour tenir enfin la promesse faite à sa mère : la faire partir à La Mecque. Pour l'heure, Ibrahima OUEDRAOGO est apprenti chauffeur à Ségou où il prépare lentement, mais sûrement sa traversée. Réussira-t-il ? Une chose est sûre, il est déterminé.

 

Qu'est-ce que tu fais à Ségou au Mali ?

Ibrahima OUEDRAOGO : Je suis apprenti chauffeur dans une société de transport malienne appelé SOMATRA. Je suis dans la société, ça va faire bientôt 5 ans. Ce qui m'a amené dans cette société, j'étais sorti du Burkina en 2000 pour partir en Espagne. Mais ça n'a pas marché pour moi. J'ai dû revenir au Mali ici pour travailler.

 

Peux-tu me raconter l'histoire de voyage pour l'Espagne ?

I.O : Nous étions trois jeunes burkinabè. On a décidé d'aller en Europe particulièrement en Espagne pour chercher du travail. Nous sommes partis de Ouahigouya pour Mopti au Mali. De Mopti, nous sommes allés à Bamako, où nous nous sommes attachés les services d'un passeur qui nous a promis de nous conduire jusqu'à la frontière espagnole contre 125 000FCFA. A Bamako, nous étions au nombre de 17 personnes, Burkinabè, Ivoiriens et Maliens confondus.

Quand on a franchi la frontière malienne pour la Mauritanie, il nous a laissé en Mauritanie alors que dans le contrat, c'était jusqu'à la frontière espagnole. C'est à la frontière Mauritano-Marocaine qu'il nous a confié à une autre personne de leur filière et lui est reparti au Mali pour ramener d'autres personnes. La personne a qui nous avons été confiés à la frontière du Maroc  nous a trahis. Nous avons été arrêtés et remis à l'autorité mauritanienne à la frontière qui nous a rapatriés à Nioro qui est une localité située à la frontière Mali-Mauritanie. A Nioro, chacun devait se débrouiller pour trouver un point de chute et c'est comme cela que je me suis retrouvé à Ségou. Mais je vous avoue que je compte toujours y retourner et quoi qu'il en coûtera, je vais repartir.

 

Peux-tu me dire qu'est-ce qui t'a fait quitter le Burkina aussi jeune (16 ans) pour tenter l'aventure ?

I.O : Je suis le 4e d'une famille de 8 enfants dont 6 garçons. Mes parents ne vivent plus ensemble, ils sont tous au Burkina et sont tous en vie. La situation familiale n'est plus comme il se doit, c'est ce qui m'a amené à quitter pour pouvoir soutenir ma maman qui a beaucoup de difficultés pour entretenir la famille.

 

As-tu eu l'accord de ta mère avant de partir ?

I.O : Oui. Avant de quitter la famille pour tenter l'aventure, je n'ai pas fui, je n'ai pas fugué. Je suis allé un soir lui parler de mon projet de voyage et j'ai demandé sa bénédiction. C'est vrai, l'instant n'a pas été facile, c'était émouvant, fait de pleurs, etc. Je ne pouvais pas partir sans sa bénédiction, je suis arrivé à la convaincre, elle m'a béni et je suis parti. Avant que je ne parte d'ailleurs elle m'a amené dans sa famille, où on a fait des sacrifices et c'est après ces rites que j'ai pris la route. C'est vrai, j'ai échoué la première fois, mais je ne compte plus retourner clandestinement. Je vais chercher mes papiers. Ici au Mali, chercher le visa et prendre l'avion pour atterrir sur le sol espagnole inch Allah.

 

Ta maman a t-elle contribué pour ton voyage ?

I.O : Financièrement, ma maman n'a pas une bonne position pour pouvoir me soutenir. Avant de quitter le Burkina, j'avais un peu d'argent que j'avais mis de côté grâce aux petits contrats de tâcheron que j'avais eu à faire çà et là.

 

Tu voulais l'Espagne, tu as échoué à Ségou au Mali, comment se passe ton intégration ici ?

I.O : Depuis le 11 septembre 2001, je suis à Ségou. Je peux dire que mon intégration se passe bien. J'ai été accueilli dans une famille malienne ici qui est aujourd'hui ma deuxième famille. Ma vie se passe très bien ici à Ségou.

 

Pourquoi tu tiens vaille que vaille à partir en Europe ?

I.O : Si je tiens à partir en Europe, c'est pour honorer un engagement, une promesse faite à ma mère. J'ai promis à ma mère de l'envoyer accomplir le 5e pilier de l'Islam qui est celle d'aller à La Mecque. Pour cela il me faut de l'argent. Cet argent je sais que tant que je serais au Burkina ou au Mali, je ne pourrai jamais le trouver. C'est pourquoi, le jour comme la nuit je demande à Dieu de garder ma maman en vie jusqu'à ce que je puisse accomplir ma promesse. Si après ça elle meurt, ce que j'aurais demandé à Dieu, je l'aurais accompli.

 

Tes papiers que tu cherches, ce sont des papiers maliens ou burkinabè ?

I.O : Je me suis fais des relations ici à Ségou. Ces relations je dois dire que c'est avec des gens importants qui m'ont promis des papiers maliens (acte de naissance, passeport, etc.,). Une fois que j'aurais ces papiers, ils vont m'aider également pour le visa.

 

En retour qu'est-ce que toi tu dois faire, combien ça va te coûter tout ça ?

I.O : Une fois en Espagne, ceux qui m'ont aidé vont garder mes papiers. Ils vont m'aider à trouver un travail qui va me permettre de rembourser ce qu'ils ont dépensé. Une fois que j'aurais épongé ma dette vis-à-vis d'eux, ils vont me remettre mes papiers.

J'aurais un contrat de 6 mois, au cours duquel je vais travailler pour rembourser ma dette. Après les 6 mois je serai libre de tout mouvement et je pourrai en ce moment gérer mes ressources moi-même.

 

Es-tu conscient que c'est dans un réseau qui peut être sans issu pour toi ? Et qu'est ce qui te fais dire que ces gens te donneront la liberté une fois en Espagne ?

I.O : Je ne suis pas le premier à avoir recours à leur service. Avant moi, bien de Maliens et de burkinabè sont passés par eux et ils sont aujourd'hui bien. J'ai vu des exemples de jeunes qu'ils ont aidé et ça a marché pour ces jeunes là alors pourquoi pas moi ? Et puis de toute façon, je n'ai rien à perdre, c'est pourquoi je me suis lancé dedans.

 

Es-tu conscient du danger que tu cours ?

I.O : Vous savez, la vie est un risque. La première fois j'ai tenté et j'ai été escroqué par une filière de passeurs. Aujourd'hui encore je suis dans une autre filière là également rien ne me dit que je ne serai pas exploité, trompé, volé, escroqué, mais je préfère prendre ce risque que de rester ici pour rien.

 

Sais-tu aussi que l'Europe n'est pas l'eldorado qu'on miroite aux yeux des Africains et que la vie est dure là-bas ?

I.O : Si la vie est dure là-bas, je la préfère encore que celle que je vis ici. Je suis conscient que l'Europe n'est pas la porte d'à côté, je suis conscient que c'est dur, que les conditions de vie et de travail sont difficiles, mais je crois que c'est encore supportable que la situation que nous vivons ici en Afrique. J'ai fait une promesse à ma mère et je suis prêt à tout pour tenir cette promesse. Si pour tenir cette promesse je dois passer par la souffrance, etc., je suis prêt. J'ai demandé à Dieu de m'aider à réaliser ce que j'ai promis à ma mère et je sais qu'il ne me laissera pas.

 

Aujourd'hui es-tu Burkinabè ou Malien ?

I.O :  Les deux. Pourquoi je dis cela, parce que, le Burkina m'a vu naître, et tous ceux que j'aime, ma famille, mes parents y vivent. Je suis également Malien parce que cela fera bientôt 7 ans que je suis dans ce pays et je me sens bien, je me sens chez moi. J'ai trouvé des gens sympathiques, des gens biens avec qui je vis sans problème ni incident majeur.

 

Frédéric ILBOUDO



11/04/2007
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