Enfants en difficulté/De la rue à l’atelier
De la rue à l’atelier
L’enfance, le stade de la vie où l’innocence, la fragilité devaient être les meilleures garanties pour la protection du petit de l’homme, est par les vicissitudes de l’existence humaine devenue angoisse pour beaucoup d’enfants. Délaissés, martyrisés, exploités, la rue est leur seul refuge. Ils y retrouvent ce que leur refusent la famille et la société : la chaleur interactive de la reconnaissance et comble de l’ironie, la joie de vivre. Devenus ceux que l’on appelle de ce vocable «enfants de la rue», ils mènent, comme on ne leur laisse pas le choix, leur vie. Ils se sont créé leur univers dans lequel les lois sont en antagonisme avec celles de la société qui, pour ne pas dégénérer, réagit pour rattraper ce qui peut l’être dans une enfance hypothéquée. Voyageons dans ce monde aux réalités insoupçonnées et auxquelles une association, l’ASJ (Association Solidarité Jeunes), tente d’apporter solutions.
Ceux de ces enfants qui auront la chance d’aller dans un atelier d’apprentissage, peuvent espérer mieux pour leur avenir
Des enfants de la rue, nous en rencontrons presque à tous les coins de nos villes. Ils sont à côté de nos lieux de travail, à côté de nos domiciles. Ce sont peut-être les enfants du voisin, du parent, sinon les nôtres. Pour certains, c’est la pauvreté des ménages qui les a conduits dans la rue ; pour d’autres, c’est l’effritement de leur famille. Derrière chacun de ces mômes que nous rencontrons, il y a une histoire que les intervenants, qui œuvrent à corriger ce que la société a fait d’eux, devraient découvrir s’ils veulent mener à bien leurs actions de réinsertion sociale. Selon les estimations de l’UNICEF, ils seraient plus de cinq mille (5000) dans le pays. Cinq mille enfants à qui le ministère en charge de l’Action sociale et ses partenaires tentent de redonner un second espoir, une nouvelle vie. Aujourd’hui, certains de ces enfants en difficultés sont placés dans des ateliers d’apprentissage. L’AEMO (Action Educative en Milieu Ouvert), la Croix-Rouge, l’association Taab yinga ou l’Association Solidarité Jeunes… apportent leur pierre dans la réinsertion de ces enfants aux histoires pas toujours singulières mais qui ont fait d’eux des êtres singuliers aux vues de la société.
H K a 20 ans aujourd’hui. Elle est l’aînée d’une famille de 5 enfants issus de deux mariages. Il y a six (6) ans, elle avait donc à peine 14 ans, elle «écumait» les trottoirs, les bars, les maquis et autres lieux lugubres de la ville de Ouagadougou pour livrer son frêle corps d’adolescente aux appétits sexuels d’hommes qui pourraient être son père sinon son grand-père moyennant de l’argent pour «se prendre en charge» et ne pas crever de faim. «J’ai même touché à la drogue pendant un moment. La cigarette, ce n’est que ces derniers temps que je l’ai abandonnée», nous a-t-elle confié dans un soupir. Pouvait-il en être autrement si elle voulait supporter cette existence à laquelle elle était contrainte ? Heureusement pour HK, une porte s’est ouverte à elle et depuis trois (3) ans, elle est apprentie couturière dans un atelier d’apprentissage.
David, lui, a 20 ans et est aujourd’hui militaire. Mais, pendant longtemps, la rue a été sa famille, les débits de boissons son réfectoire, le hall des immeubles son dortoir. Il a quitté son village natal du Sanmatenga, tenaillé par les misères d’une existence qu’il pensait effacer dans cet eldorado que paraissait pour lui la ville capitale : Ouagadougou. Il y a donc rencontré plus que… misère !
B S à 22 ans, lui a eu beaucoup plus de «chance». Depuis 4 ans, il en avait 18, il est apprenti dans un atelier de froid. A cause des difficultés que vit sa famille depuis le décès du père, en 1991, il a dû arrêter les cours en classe de troisième. Il est le dernier des 8 enfants de la famille…
S T, elle, est vendeuse de haricot devant la cour familiale. Elle a 20 ans et est l’aînée d’une famille de 4 enfants. «Au début ça été difficile mais aujourd’hui j’ai le sourire, mais ce n’était pas du tout évident… J’avais 16 ans quand je suis tombée enceinte. Mon père ne voulait rien savoir et m’a chassée de la cour familiale. Le père de mon enfant était encore sur les bancs, tout comme moi. Commence alors pour moi et pour l’enfant que je portais, le calvaire. Un soir, alors que je me suis cachée comme d’habitude de mon père pour voir ma mère, elle me raconta qu’elle avait écouté à la radio, une émission d’une association dénommée Association Solidarité Jeunes, qui venait en aide aux enfants et aux jeunes en difficultés. Pendant deux semaines j’ai cherché puis un jour, j’ai trouvé et c’était le plus beau jour de ma vie. Les membres de l’association m’ont accueillie, ils m’ont écoutée et m’ont demandé ce que je voulais faire comme activité génératrice de revenu. Sans hésiter, j’ai dit «Je veux vendre du haricot». Quelques jours après je démarrais mon activité. D’abord à côté de chez nous puis, plus tard après, à la maison. Ensuite, mon enfant est né et aujourd’hui c’est avec l’argent de cette activité que je subviens à nos besoins. Tout ce que je suis aujourd’hui, c’est grâce au soutien de l’Association Solidarité Jeunes qui, au passage, m’a permis de renouer les liens avec mon père. Le père de mon enfant qui a eu un concours professionnel m’a promis le mariage dès qu’il finira sa formation. Je croise les doigts qu’il tienne promesse». Ce témoignage de S T qui habite Ouagadougou renvoie à la situation de nombre de jeunes filles qui hélas n’ont pas encore, comme elle, trouvé le bout du tunnel. Une chance inouïe pour elle, tout comme pour les 150 enfants qui bénéficient de l’appui de l’Association Solidarité Jeunes. Oui, une vraie chance, mais encore il aurait fallu la rencontrer et saisir !
La rencontre, c’est là où commence l’espoir
Chacun de ces enfants a une histoire. Une histoire dont la narration vous noue l’estomac. Chacun d’eux, à un moment donné de sa «petite» vie, a touché le fond du gouffre. A un moment donné de leur vie, ils ont sombré dans la déchéance, le désespoir, jusqu’à ce que l’espoir renaisse un soir, un matin. Cet espoir est venu par une rencontre avec l’Association Solidarité Jeunes (ASJ). Un espoir né un soir où l’équipe de l’ASJ, conduite par son secrétaire exécutif, M. Adama CONOMBO, est passée soit sous un pont, sous un immeuble, à côté d’un débit de boisson, d’un restaurant… et y a vu d’insolites habitants qui s’affairent ou se reposent. Des êtres humains encore immatures laissés à eux-mêmes tel des bêtes sans attache et obligés de souvent rapiner pour se nourrir. Les plus «chanceux», c’est en écoutant l’une des innombrables émissions radio télé de l’association qu’est intervenu l’espoir.
Apprendre unmétier et repartir sur une nouvelle base, tel a été le choix de HK
L’Association Solidarité Jeunes, qui existe depuis 1995, s’est donnée pour mission d’aider à la réinsertion des «enfants de la rue» dans le tissu social et œuvre à prévenir les risques de marginalisation, d’exclusion et de délinquance juvénile. Aujourd’hui, 150 jeunes sont à la charge de l’association qui les a placés en situation de travail et suit leur évolution dans cette sorte de renaissance pour eux. Chacun de ces enfants a eu un parcours de combattant. Et pour cause, avant qu’ils ne deviennent ces doux agneaux et ces travailleurs dans les ateliers dans lesquels ils ont été placés, que de travail ils ont donné aux artisans formateurs, aux équipes de suivi de l’association ! «Au début, je m’ennuyais au garage, et à chaque fois que le patron ou le chef de garage ne faisait pas attention à moi, je m’éclipsais pour rejoindre mes amis…». Nous lance avec un sourire le jeune Adama, apprenti-mecanicien auto depuis trois ans dans un garage. HK, la jeune couturière de 20 ans dont nous parlions plus haut, versant des larmes d’émotion nous confie son expérience comme pour se soulager d’un fardeau mais surtout attirer l’attention de ses camarades jeunes filles afin qu’elles évitent le chemin qu’elle a emprunté même si c’est à son corps défendant. Ainsi, raconte-t-elle, «dans notre atelier, seul le patron connaît mon histoire. Mes autres collègues apprenties ignorent tout de moi. Il y a des moments où certaines me surprennent en train de pleurer et veulent savoir ce qui me met dans cet état. Si seulement elles savaient la chance qu’elles ont de n’avoir pas traversé ce que j’ai vécu. J’en garde encore aujourd’hui des stigmates, et il y a des moments où les bars, les maquis, etc. m’appellent encore ; mais, je ne veux et je ne dois encore y aller. Si j’y retourne, je suis foutue». En voilà donc qui est meilleure conseillère. Et l’on voit que beaucoup dans sa situation, qui ont saisi la perche à elles tendue, sont motivées et même souvent trop pressées de voler de leurs propres ailes dans le métier qu’elles sont en train d’apprendre à l’instar de celle dont parle M. SORE, artisan formateur : «La fille que j’ai dans mon atelier, je sens de l’amélioration dans son travail mais je la sens trop pressée. Avec à peine quatre ans d’apprentissage, elle veut déjà son propre atelier ; c’est trop tôt».
Cependant, si le travail fait en direction de ces jeunes donne satisfaction, certains cas demeurent des casse-têtes et donnent des soucis aux encadreurs. Suivons plutôt Amidou KABORE, ce patron de garage à Tanghin qui accueille des enfants à lui confiés : «Vous savez, quitter la rue pour un garage ou un atelier, pour un enfant qui a connu pendant plusieurs années un telle libertinage, ce n’est pas facile. J’ai reçu un gamin, il n’y a pas très longtemps ici, qui était insupportable. Il passait le plus clair de son temps à provoquer des bagarres. Alors j’étais à chaque fois obligé de lui coller des punitions, mais ça ne faisait que s’empirer de jour en jour. Jusqu’à ce qu’il arrête de venir. Par contre, il y a eu aussi de très bons garçons comme ce David-là qui est devenu aujourd’hui militaire. Je me suis demandé comment celui-ci s’est retrouvé dans la rue tellement il me donnait satisfaction depuis que l’association me l’a confié». Ce sont là, deux cas illustratifs de la complexité du travail fait par l’ASJ. Si beaucoup comme David sont réceptifs aux messages et actions de formation, de sensibilisation, il faut reconnaître que pour certains la tâche demeure ardue. Pour le psychologue de l’Association Solidarité Jeunes, «c’est un travail de longue haleine. Car, même après un retour en famille, même si le travail psychologique est amorcé, le suivi psychologique doit être poursuivi, parce que c’est comme si vous réapprenez à l’enfant à marcher. Il va tomber, on le relève, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il soit sur ses deux pieds et indépendant. Dès qu’ils arrivent dans les ateliers, il y en a qui après quelques heures fuient. Il faut aller les chercher et les convaincre du bien fondé de ce qu’ils sont en train de faire pour leur avenir...».
L’UNICEF /Burkina et la protection de l’enfant |
M. Désiré YAMEOGO, chargé du Programme protection de l’Enfant à l’UNICEF.
«L’UNICEF Burkina œuvre pour la protection des enfants en général au double plan juridique et socio économique. Nous avons quelques projets que nous soutenons sur le terrain et à ce niveau nous avons 24 associations et projets que nous soutenons, en plus des structures gouvernementales notamment le ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale, le ministère de la Justice, le ministère de la Promotion des droits humains et le ministère de la Promotion de la femme. Ce sont des ministères que nous soutenons en terme de renforcement des capacités opérationnelles sur le terrain ; mais, aussi en termes d’appuis financiers et techniques. L’UNICEF accentue sa stratégie sur la prévention et la prise en charge. En matière de prévention, nous élaborons ce que nous appelons un Plan intégré de communication (PIC) qui a des sous activités en plaidoyer en direction des autorités, la communication pour le changement de comportements… Tout cela est axé sur les radios locales. L’expérience a démontré que la mise en œuvre du PIC a permis un début de changement de comportements en matière de protection de l’enfant sur le terrain. Les stratégies de prise en charge ont été adoptées aussi bien au niveau régional qu’au niveau du Burkina Faso. Nous avons rédigé un manuel de formation des acteurs en collaboration avec les autres partenaires techniques et financiers, pour assurer la prise en charge des enfants. C’est une stratégie qui part de l’encadrement, au placement en formation professionnelle et pré professionnelle. C’est une stratégie qui est ouverte à tous les enfants, qu’ils soient de la rue ou vivant des violences sexuelles, ou les enfants vivant de mendicité. Ou encore, les enfants qui sont en conflit avec la loi, notamment les mineurs qui sont en prison. L’intérêt pour nous c’est de donner à l’enfant une autonomie relative en terme d’activités génératrices de revenus. Cette autonomie et la réinsertion familiale ne peuvent se passer que par la dotation en capacité productive, ce qui passe nécessairement par la formation. L’UNICEF n’ayant pas d’agent sur le terrain, nous procédons par ce qu’on appelle la stratégie du faire –faire. Nous avons des ONG, comme «Solidarité Jeunes», que nous soutenons. Le bilan de 2007 nous donnait plus de cinq mille enfants en difficultés que nous appuyons à travers les associations et ONG qui sont sur le terrain. Ce soutien engage un financement annuel de plus de 3,5 millions de dollars US». Frédéric ILBOUDO |
Sauver et donner l’espoir, l’action de l’ASJ
Pour que les enfants arrivent dans les ateliers et apprennent un métier pour assurer leur avenir, M. Adama CONOMBO et ses collaborateurs travaillent avec des artisans. Mais avant cette étape de l’atelier, c’est le comment convaincre l’enfant afin qu’il abandonne la rue qui est la gageure. Démarre alors une stratégie d’approche qui va du suivi médico-social, à ceux des activités socio-éducatives en passant par le suivi médico-psychologique. «Nous essayons d’établir une confiance avec les enfants pendant nos sorties nocturnes au cours desquelles nous leur apportons des soins pour ceux qui sont blessés ou malades, et à manger pour tous. Ce geste est répété plusieurs fois. Petit à petit, nous les amenons à nous rejoindre pour les soins et les petits soutiens. Au fur et à mesure que se renforce la confiance, nous ouvrons un dossier pour chaque enfant et nous retraçons son histoire. Nous commençons avec les informations qu’il nous aura données à rechercher sa famille, et mieux à les mettre en contact. Pendant ce temps, le psychologue fait son travail, l’infirmier continue le sien et petit à petit, l’enfant déterminera lui-même le projet ou le métier qu’il veut faire et ainsi nous agissons pour lui…». Nous a dit la responsable du suivi socioéducatif, Mlle Natacha KAMBOU. Autant l’association apporte un soutien et un suivi aux l’enfants, autant les ateliers dans lesquels ils sont placés reçoivent des subsides pour la connaissance qu’ils apportent aux enfants. «Si je n’avais pas accepté d’accueillir les enfants que m’a confiés l’ASJ, où j’allais trouver l’argent pour m’acheter une grue pour mon garage ? Outre cette grue dont j’ai bénéficié, il y a les outils comme les clés dont le garage a bénéficiés. En tout cas, je peux dire que l’action de l’ASJ est salutaire». A soutenu Amidou KABORE, patron de garage. Cette ferveur n’est cependant pas partagée par tous les artisans formateurs. Pour M. Abdoulaye YAMEOGO, artisan formateur, réparateur d’engins à deux roues au secteur 30, «l’ASJ, je ne sais pas si c’est par manque de moyens ou pas, n’arrive pas à nous aider comme il se doit. Comparé à une structure comme la Croix-Rouge, qui vous fait signer un contrat et qui vous paie tous les mois, je dirai qu’avec l’ASJ, je fais du bénévolat parce que leur aide est ponctuelle. Il faut qu’elle revoie ça». De la rue à l’atelier, un parcours de combattant. Des batailles, ils ont à mener ensemble et la guerre, ils doivent la gagner ensemble, ces combattants que sont «les enfants de la rue», les institutions et associations oeuvrant pour leur réinsertion, les partenaires tels les responsables d’ateliers ou de garages. L’Association Solidarité Jeunes joue en tout cas sa partition, devenue qu’elle est, cette main qui tire les enfants du gouffre vers la lumière dans l’espoir d’un avenir meilleur..
Par Frédéric ILBOUDO
Adama KONSIMBO, Psychologue
«…Rien ne peut remplacer un père, une mère. »
Dans le processus de réinsertion des enfants en difficultés, l’apport d’un psychologue est indispensable. Son intervention permet d’orienter les éducateurs dans leur suivi, et dans la perspective de pouvoir permettre à l’enfant non seulement de retourner en famille, mais aussi et surtout de s’y fixer. Nous avons rencontré M. KONSIMBO, psychologue, qui suit les enfants à l’Association Solidarité Jeunes depuis bien des années. Il nous parle du travail qu’il y mène et apporte un éclairage sur la problématique des enfants de la rue.
Pourquoi, selon vous, la rue attire-t-elle les enfants ?
Adama KONSIMBO : Il faut dire que ce qui attire les enfants dans la rue est multiple. Généralement ce sont des enfants en rupture momentanée avec leur famille, due à un certain nombre d’évènements qui se sont passés. Ce qui fait qu’il faut toujours essayer de voir dans l’histoire même de la conception de ces enfants. C’est assez difficile pour les parents d’en parler, mais il faut savoir dans quelles conditions ces enfants ont été conçus, et avec quel amour. Généralement ce sont des aspects qui vont au-delà de ceux matériels que les enfants ont. En effet, ils manquent souvent d’affection, de cadre d’épanouissement. Il y a même souvent une inversion des rôles, parce qu’il arrive qu’on leur fasse jouer des rôles qui ne sont pas les leurs. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’un enfant a besoin d’un minimum de cadre d’épanouissement, d’un minimum d’affection, pour lui permettre de pouvoir respecter les étapes de l’enfance à l’âge adulte et consolider sa personnalité. Il faut savoir qu’en dehors de l’aspect pauvreté, il y a souvent des malaises profonds chez les enfants. Et généralement, les malaises des familles sont traduits par l’éjection de l’enfant de la cellule familiale. Cela veut dire que, quand il y a des problèmes au niveau du couple, les difficultés s’abattent sur l’enfant. En un mot, le manque d’affection, le manque de cadre d’épanouissement, les malaises profonds dans les familles, il y a l’inversion des rôles qui font que les enfants sont en rupture momentanée avec leur famille et peuvent se retrouver dans la rue. Toujours dans ce sens on peut ajouter que la déstructuration des familles, la nucléarisation des familles, sont aussi des causes de cette situation. Le manque de valorisation de l’enfant dans la cellule familiale est aussi un des aspects qu’il faut souligner. C’est pour dire que, avant, la solidarité dans la famille africaine, c’était au niveau de la famille élargie, mais aujourd’hui on se rend compte que c’est la nucléarisation familiale qui prend le dessus. La famille se résume à ses membres : père, mère, enfants. Personne ne veut s’occuper de l’enfant de l’autre. Cet aspect de la nouvelle solidarité tarde au niveau institutionnel à se formaliser, parce que ce qui se passe en Occident par exemple, l’effritement de cet élan de solidarité familiale, est pris en compte par la mise en place d’une solidarité formalisée. Il y a la création de centres pour récupérer les enfants, et même des ressources qui sont mobilisées pour subvenir à leurs besoins autant matériels qu’affectifs, notamment le recrutement de personnels compétents pour essayer de recadrer cela. Mais il faut être sûr que quel que soit ce qui va se passer en dehors du carcan familial, rien ne peut remplacer un père, une mère. Toujours dans le même ordre d’idées, il y a aussi l’effritement des pratiques éducationnelles.
En quoi consiste le suivi psycho social que vous avez avec les enfants ?
A K : Le suivi psychologique est la base de tout le travail qui sera fait pour la réinsertion de l’enfant. Il est en amont et en aval d’une bonne réinsertion réussie. Cela veut dire que le psychologue a un peu de recul ; il n’est pas l’éducateur, il n’est pas un sorcier, encore moins un génie, sa base de diagnostic part des éléments réels de l’individu. Une enquête sociale jette les bases et montre comment sont structurées les familles. Et c’est cela qui va permettre au psychologue de déterminer les outils qui vont lui permettre de faire un diagnostic clair et de proposer des solutions. Le travail psychosocial qui est mené pour sauver l’enfant se fait dans un cadre tripartite. Il y a le psychologue, en tant que spécialiste, la famille, et l’enfant. Parce que si la famille ne vous dit pas les réalités sur l’histoire de l’enfant, dans quelles conditions il a été conçu, quel est son environnement, quels sont les paramètres qui ont conduit à son éjection de la famille, le psychologue ne peut rien faire. C’est à partir de ce préalable que le psychologue peut faire son travail et donner aux éducateurs, des prémisses de solutionnement, tout en intégrant l’enfant et sa famille qui est en souffrance. Parce que, quand l’enfant est dans la rue, il souffre, et sa famille est aussi en proie à une souffrance. Cette prise en charge psychothérapeutique doit prendre en charge aussi bien l’enfant que sa famille.
Quels sont les dangers que la rue représente pour les enfants au-delà de ces stéréotypes qui leurs sont collés : «petits bandits, voleurs, etc.» ?
AK : Comme je le disais un peu plus haut, l’enfant a besoin d’être valorisé dans ce qu’il fait. Il a besoin d’être écouté, il lui faut un cadre d’écoute actif, parce que contrairement à ce que les gens pensent, il sait quand il est écouté de façon active, et quand il ne l’est pas. A travers la réponse que vous allez lui donner l’enfant sait si ce qu’il vous a dit a été capté ou pas. Ce qui veut dire alors qu’il faut un cadre d’écoute pour les enfants. Il faut également prendre en compte les besoins des enfants, tout en les impliquant en demandant leurs avis, et surtout en les convainquant des bien-fondés des décisions que vous allez prendre. C’est pour vous dire qu’une fois que l’enfant se retrouve dans la rue, le rôle qu’il n’avait pas à la maison la rue lui en donne un avec les amis qu’il va y avoir. Contrairement à ce que nombre de gens pensent, la rue est un micro monde. Un monde où les enfants se forgent avec des règles bien précises, où généralement chacun joue sa partition, dans le groupe. Un groupe qui a un leader, est bien structuré, bien hiérarchisé, et quand l’enfant commet des larcins avec exploit, il est valorisé. Oui, dans cet acte négatif pour vous, mais valorisant pour lui au sein de ce groupe. Il sent qu’il est aimé par les autres, qu’il est encouragé. On l’encense, on lui donne des surnoms, il s’identifie aux acteurs de cinéma, il est valorisé et il commence à perdre les normes sociales. L’enfant dort à n’importe quelle heure, il se réveille quand il veut, alors que, s’il était dans une famille, tout cela allait être règlementé. Qu’est-ce qui fait d’un homme un être raisonnable, respectueux des normes sociales ? C’est la socialisation. Ce qui est conçu ici dans notre pays comme valeur ne l’est peut-être pas au Sénégal, au Burundi, etc. C’est donc par le biais de la socialisation, de tout ce qui est établi comme règlements, normes sociales avec lesquels l’enfant va grandir qu’il va être conditionné, façonné. Au niveau de la rue, c’est le libertinage. Il y a l’effritement des normes sociales dans la rue car même s’il y a des règles, elles sont en déphasages avec celles de la société qui a en vision la cohésion sociale.
Comment se fait l’approche psychosociale pour que l’enfant puisse accepter quitter la rue et rejoindre l’atelier ?
A K : Pour que le travail psychosocial puisse réussir et que l’enfant puisse accepter aller dans un atelier, il faut établir avec lui une certaine base de confiance. Si la confiance manque, il n’y a pas d’ouverture et s’il y a manque d’ouverture de la part de l’enfant, le psychologue n’y peut rien. Comme je l’ai dit plus haut, tout part d’une histoire de l’enfant, et pour pouvoir cerner cette histoire, il nous faut mener une approche particulière. Au niveau de l’association où j’interviens, il y a des sorties sur le terrain, aussi bien de jour comme de nuit. Les mercredis sont consacrés aux sorties de soins, et les vendredis pour les sorties de rencontres et celles des visites à domicile. On approche les enfants par le biais des soins. Une fois que la confiance est établie à ce niveau, sur la base de cette confiance, les éducateurs entament les enquêtes sociales, après quoi, ils rendent compte au psychologue qui va de temps à autre descendre sur le terrain pour prendre contact avec les enfants. Une fois que cette étape est passée, l’enfant sera invité dans un cadre beaucoup plus approprié notamment dans le bureau du psychologue où l’observation qui avait débuté sur le terrain va continuer. A partir des informations qui seront recueillies, il y aura une orientation du diagnostic. Tout cela dans le but de cerner la personnalité de l’enfant et surtout de mettre des mots sur les souffrances de cet enfant dans la perspective d’orienter les éducateurs dans leur suivi, et dans la perspective de pouvoir permettre à l’enfant non seulement de retourner en famille, mais aussi et surtout de s’y fixer. Pour le passage de paliers, de la rue à l’atelier, il faut réellement un travail psychologique. Une fois que l’enfant s’ouvre, une fois que la famille a raconté l’histoire de l’enfant, cela permet au psychologue de situer où se trouve la plaie mentale. Soit il est caractériel, introverti, extraverti et en fonction de tous ces éléments-là, on va pouvoir faire le travail. C’est un travail de longue haleine. Car, même après un retour en famille et même si le travail psychologique est amorcé, le suivi psychologique doit être continué, parce que c’est comme si vous réapprenez l’enfant à marcher. Il va tomber, on le relève, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il soit sur ses deux pieds et indépendant.
Que pouvez-vous dire pour terminer ?
A K : Il faut que toutes les structures qui œuvrent dans le domaine de la protection de l’enfant intègrent le dispositif psychosocial. Vous me donnez l’opportunité de dire qu’ici au Burkina, nous avons de l’expertise, nous avons des psychologues qui ont de l’expérience, et il faut qu’on apprenne à faire confiance à notre expertise. Souvent vous partez dans des structures pour collecter des données et tout ce qu’on trouve à vous dire c’est : les enfants, ils sont bien, ils mangent, ils se douchent, etc. Non ! La vie de l’enfant ne se limite pas à l’alimentation. Il y a d’autres aspects et tant que vous ne prenez pas en compte cela, tant que vous n’intégrez pas le suivi psychologique, ça va être toujours un travail qui sera voué à l’échec. Aujourd’hui, nombre de gens pensent par exemple qu’il suffit pour un séropositif de trouver une alimentation saine et équilibrée et avoir sa trithérapie pour être au mieux. Ça ne suffit pas. Il faut que l’individu accepte d’abord sa situation, il faut qu’il accepte sa sérologie pour accepter suivre les soins. Il faut donc faire un travail d’acceptation de sa sérologie. C’est pour dire que pour obtenir des résultats probants, les partenaires devraient imposer à toutes les structures qui oeuvrent dans la protection de l’enfant, la prise en charge psychosociale.
Adama CONOMBO, Secrétaire exécutif de l’Association Solidarité Jeunes
«Nous nous inscrivons dans la politique nationale en matière d’action sociale…»
Dans la lutte pour le bien-être de l’enfant, aucun apport n’est de trop. Depuis plusieurs années, l’Association Solidarité Jeunes œuvre à donner une nouvelle chance aux enfants et aux jeunes qui sont en difficultés. Aujourd’hui, elle est en passe de se spécialiser dans le domaine de la réinsertion des enfants de la rue à travers ses nombreuses activités. Adama CONOMBO, secrétaire exécutif, dans cet entretien nous fait le point du travail qui est fait pour que l’enfant de la rue retrouve sa famille et l’espoir.
En quoi consiste la réinsertion sociale que vous offrez aux enfants en difficultés ?
Adama CONOMBO (AC) : Il faut dire d’abord que la réinsertion pour les enfants en difficultés couvre plusieurs composantes. Elle peut être sociale, familiale, économique, etc. La réinsertion dans le processus de prise en charge, vise à donner dans le long terme à l’individu, des capacités de se prendre en charge, de réintégrer dans une certaine mesure le dispositif qui lui permet de reconstruire des liens stables avec l’environnement social, familial, et même économique. En ce qui concerne les «enfants de la rue», c’est une dimension qui est assez complexe dans la mesure où sa mise en œuvre implique plusieurs partenaires inscrits dans le dispositif d’accompagnement. L’Association Solidarité Jeunes, dans le cadre de sa stratégie éducative en milieu ouvert, s’appuie sur le potentiel qui existe au niveau institutionnel et communautaire pour pouvoir accomplir sa part de travail. Il faut toujours avoir à l’esprit que ce sont des enfants qui ont des problèmes très divers, compliqués, dont les causes sont diverses, et on ne peut que s’appuyer sur le potentiel qui existe aussi bien au niveau des enfants, des communautés, des familles, mais également de l’environnement social et économique. Ce qui fait que, pour pouvoir parvenir à des résultats probants, avec les enfants en terme de réinsertion sociale, économique ou familiale, il faut une implication conjuguée ; ce qui prend du temps. Ce sont des enfants qui ont des troubles de comportement, des enfants qui ont évolué dans des milieux familiaux assez complexes, qui sont stigmatisés, marginalisés. C’est dire donc qu’il y a des problèmes qu’il faut d’abord résoudre en amont. Ce qui demande une prise en charge intégrée qui se pose dans l’urgence, pour aider ces enfants à se structurer, à stabiliser leurs comportements, avoir certains pré-requis en terme de sociabilité avant d’entreprendre avec eux toute action de réinsertion en terme de retour en famille, de leur installation dans des activités génératrices de revenus, en terme d’organisation de ces cibles-là en pré coopératives de production. Bref, c’est pour vous dire que la réinsertion est une des étapes ultimes qui s’inscrit dans le processus d’accompagnement des enfants en difficultés dans notre pays.
Comment se fait une réinsertion au niveau de l’ASJ ?
A C : La réinsertion se fait avec différents acteurs qui sont dans le dispositif de prise en charge parce que très souvent ces enfants sont issus de localités pourvoyeuses d’enfants et où, très souvent, se pose avec acuité la traite des enfants. Très souvent ce sont des zones rurales ou semi rurales. C’est un travail concerté que nous menons avec les structures déconcentrées du ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale, et les organisations à base communautaire structurées en ONG et en associations qui interviennent également dans cette dynamique. Notre travail consiste à identifier avec ces partenaires institutionnels, des opportunités de formation, d’installation dans des activités génératrices de revenus, ou même de reprise scolaire. Le travail est fait par ces structures-là, qui de façon régulière font un feed-back à l’ASJ, de sorte à ce que nous puissions avoir une idée assez précise sur l’état de mise en œuvre des activités de suivi ; ce qui nous permet de mieux orienter notre stratégie. Ce travail se fait aussi avec les acteurs des organisations à base communautaire, comme les autorités coutumières et religieuses, qui dans leurs communautés sont des références morales des leaders dans les instances de décisions. Je vous dis que c’est une tâche qui est très laborieuse, qui demande aussi bien du temps matériel, que des ressources logistiques et financières. Pour tout vous dire, la réincertion n’est pas une action mécanique, systématique, mais elle vient en fait après que le processus de prise en charge intégrée a été effectuée. C’est une fois qu’une relation d’écoute a été nouée avec l’enfant et qu’il se sent en confiance, qu’une action de réinsertion peut être engagée avec l’équipe psychosociale, qui va stabiliser le comportement de l’enfant. Un dossier sera ouvert en son nom, et nous permettra de connaître en quelque sorte son histoire. Après ce travail, il y a la relation de mise en confiance qui va se poursuivre avec l’équipe psychosociale qui va l’aider à mieux éclairer ses choix, dans le cadre de son projet personnel individualisé. Mais avant cela, il faut dire aussi que, sur la base des informations fournies par l’enfant, nous effectuerons des visites exploratoires à domicile avec ou sans l’enfant ; une façon de vérifier la véracité des informations fournies. Si après une, deux, trois visites à domicile, l’enfant consent à rester en famille avec une activité, cela est discuté avec les parents, les structures de l’action sociale, et les autres partenaires de la société civile et les artisans formateurs. C’est après que tout cela soit fait que l’enfant est placé ou installé dans son activité. Vous voyez bien que c’est quelque chose qui demande du temps, car ce sont des émotions, des vécus, des trajectoires qui sont assez sinueuses et il faut aller vite, mais prendre le temps pour bien faire, en respectant le processus de réinsertion.
Combien d’enfants l’A S J a-t-elle pu réinsérer au jour d’aujourd’hui ?
A C : Je peux dire, sans trop de prétention et avec du recul, que nous avons pu amorcer des actions de réinsertion très concrètes avec au moins 150 enfants depuis la création de l’association. Si cela est une réalité aujourd’hui, c’est grâce au soutien de certains partenaires techniques et financiers comme l’UNICEF dans sa section protection, le ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale, mais également des organisations à base communautaire qui au niveau décentralisé nous aident à faire un travail de qualité.
Quels sont les cas de réinsertion qui vous ont posé le plus de difficultés et qui ont nécessité plus d’ardeur ?
AC : Là vous me demandez quelque chose de difficile parce qu’il y en a à la pèle. Nous avons reçu des cas d’enfants où la paternité est contestée, des cas d’enfants incestueux, des enfants qui ont été bannis du lignage familial ; ce sont des cas de figures très difficiles à régler et dans ces genres de situation, il nous faut travailler avec les membres de la famille souvent élargie pour concilier les points de vues. Nous avons eu des cas d’enfants abandonnés où il n’y avait même plus de référence familiale, des enfants qui se sont retrouvés dans le circuit de l’école coranique mais abandonnés par leur maître coranique, et qui avaient des difficultés à localiser leurs parents. Nous avons eu des enfants qui ont été lynchés par la vindicte populaire parce que stigmatisés ou marginalisés. C’est vous dire que nous sommes très souvent confrontés à des problématiques très complexes qui nécessitent le concours d’autres partenaires qui sont à même de faire fléchir au niveau institutionnel et communautaire.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans la conduite de vos actions ?
A C : Les difficultés sont nombreuses. Nous nous inscrivons dans la politique nationale en matière d’action sociale. Mais jusqu'à présent, le programme national d’éducation en milieu ouvert n’a pas été mis en œuvre de façon concrète. Nous pensons que ce programme dans sa mise en œuvre va permettre de prendre en charge les difficultés que rencontrent les OEV (NDLR : (orphelins et enfants vulnérables)). Il faut dire que dans les mécanismes de coordination, sur le terrain, il y a des problèmes parce qu’il n’y a pas une structure de coordination nationale à même de coordonner et de règlementer, de suivre et d’évaluer, de conseiller les différents intervenants qui sont dans cette dynamique. En terme de mobilisation de ressources, nous avons un partenaire de taille qui est l’UNICEF qui nous soutient, mais nous pensons qu’au regard de l’ampleur de la situation, il y a lieu que d’autres partenaires s’impliquent pour une plus grande mobilisation des ressources. Parce que la réinsertion d’un enfant de la rue, au bas mot, coûte à peu près 400 à 450 mille FCFA. Jusqu'à présent nous n’avons pas un siège social à nous et ça pose problème. Aujourd’hui, les financements ponctuels que nous recevons ne nous permettent pas de faire face à la demande de plus en plus forte.
Vous parlez de manque de financements, mais il faut dire aussi que les ONG ne sont pas exemptes de tout reproche. Et pour cause, il y en a qui ont détourné les financements à eux accordés à d’autres fins. Qu’en est-il à Solidarité Jeunes ?
A C : Je crois que les résultats et les chiffres parlent d’eux-mêmes. Si depuis 1995 le partenariat est entretenu avec l’UNICEF, le ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale et les autres ONG, c’est compte tenu de la qualité, du sérieux, de la rigueur et de la confiance qui existe et ça, c’est très important. Nous nous avons eu dans le cadre de nos programmes mis en œuvre, à participer à l’effort du gouvernement dans le domaine de la protection et la promotion des droits de l’enfant. Et je crois que Solidarité Jeunes est en train de se structurer pour être une référence qui va appuyer les partenaires techniques et financiers pour suivre et coordonner les actions des autres structures. Il y a une certaine crédibilité, il y a un gage de confiance, nous demandons plus de ressources pour pouvoir travailler davantage pour sauver des enfants.o
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