Théâtre
L'art des planches
Ambiance de ranch au bord du Djoliba
Ambiance de ranch au bord du Djoliba
“Un appel à la liberté, à la fraternité et à la tolérance”
Lundi 1er décembre, sur la berge du Palais de la Culture de Bamako, “La Geste des Étalons” marquait l’ouverture du neuvième Festival “Théâtre des Réalités”. Bien que le spectacle fût gratuit, certains spectateurs ont préféré le suivre depuis le pont surplombant le site…
Par David Sanon
Photo: Balkissa Maiga
Lundi soir 1er décembre, une cinquantaine de motocyclistes sont restés scotchés sur le Pont des Martyrs, les yeux rivés sur les berges tapissées de gazon vert du fleuve Niger, communément appelé Djoliba. En contrebas, une dizaine de cavaliers paradait dans une arène improvisée, accompagnés par un saxophone, un djembé, un taman et une guitare électrique. Depuis leur perchoir, ces Bamakois ont vécu, sans le savoir pour certains d’entre eux, le spectacle d’ouverture de la 9e édition du Festival “Théâtre des Réalités”: La Geste des Étalons, de Luis Marquès et Amadou Bourou (co-production de l’association L’Œil du Cyclone et de l’Écurie du Cheval mandingue).
Face à l’orchestre, installé côté nord de l’arène, se trouve un public attentif au spectacle. Assis sur les sièges disposés là ou à même le gazon, il vit ce conte qui met en scène des cavaliers et leurs chevaux, des échassiers et un âne. On peut même dire qu’il est concerné quand on entend l’étudiant Ibrahim Koné dire que “c’est un appel à la paix qui est lancé aux Maliens”. Surprises par la ponctualité des organisateurs, ces dames ont dû avancer au pas de course, malgré leur somptueux bazin et leurs hauts talons, pour trouver une bonne place. Comme si elles craignaient de rater quelque chose d’important.
Le conteur du spectacle, pour s’assurer que le public ne somnole pas, lance de temps à autre: “Dowoulo!”; et le public, pour signifier son éveil, doit répondre: “Do!” Les salves d’applaudissements accompagnant chaque scène témoignent de l’intérêt du public pour ce premier spectacle équestre donné à Bamako. Un spectateur, le régisseur équestre français Norbert Estèbe, l’exprime bien quand il dit avec émotion: “C’est bien réfléchi, et en même temps il y a de la spontanéité et une vivacité exceptionnelle. C’est un appel à la liberté, à la fraternité et à la tolérance, à travers la fougue de la jeunesse…” Avant de conclure que “l’Afrique a de l’avenir”.
La représentation a tenu le public en haleine pendant plus d’une heure. Le professeur Gaoussou Diawara, critique d’art, souhaite que les Maliens en tirent quelque chose pour que le dialogue, tel le cheval dans la pièce, lie le nord au sud du pays.
Durant le spectacle, la bande lumineuse constituée des phares de véhicules traversant le Pont des Martyrs aura, à plusieurs reprises, ralenti voire stoppé sa course pour permettre aux passants de contempler les chevaux dansant au rythme de la musique et à la lumière des projecteurs. C’était beau!
Le festival “Théâtre des Réalités” ne fait que commencer…
Profession : cavalière
Profession : cavalière
Texte et photos: Frédéric Ilboudo
À l’état civil, la princesse, dans La Geste des étalons, s’appelle Alice Zongo. Du haut de ses vingt-cinq ans, cette jeune femme frêle (1,60 m pour 60 kg) manie le mors de ses chevaux comme Joël Rebuchon, en cuisine, ses louches. “Ma passion pour les chevaux remonte à ma plus tendre enfance, raconte t-elle. Mon père était le propriétaire d’un cheval, et c’est lui qui nous a initiés à l’art de l’équitation.”
Très vite, la dextérité d’Alice s’affirme. L’équitation devient une passion qui la conduit, dès l’age de douze ans, à préférer la compagnie des chevaux aux jeux des filles de son âge. Ni les crottins ni les risques de toutes sortes ne découragent la jeune cavalière, résolue à se faire une place dans ce milieu masculin. C’est au milieu des chevaux que se forgera son destin. “Quand elle venait chez nous, à l’écurie, on avait peur pour elle, raconte un des cavaliers de l’Écurie mandingue. Mais elle était tellement déterminée qu’on a fini par l’encourager.” Une passion dévorante qui n’empêche pas Alice Zongo d’obtenir un diplôme en hôtellerie au terme de trois années d’études.
C’est à la suite d’un casting que sa vocation s’affirme: “Un jour, un ami est venu m’informer qu’une troupe théâtrale cherchait une cavalière pour une création. Je suis allée au casting et j’ai été retenue. Il s’agissait de La Geste des Étalons.” Débute alors pour elle une aventure inespérée: sur scène, Alice montera trois chevaux – un noir, un roux et un gris. L’histoire de la princesse qu’elle incarne dans la pièce de Luis Marquès et Amadou Bourou se rapproche de celle de la princesse Yennenga, mère de Ouédraogo, le fondateur du royaume mossi.
Après cette première expérience, Alice ne compte pas s’arrêter là. “De temps en temps, je me dis qu’il faudrait que je passe à autre chose, mais les chevaux me retiennent.” Pleine de modestie, elle ne s’enorgueillit pas de son parcours: “C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de femmes dans le milieu de l’équitation, mais ça ne fait pas de moi pour autant une exception. D’autres femmes peuvent le faire; il suffit qu’elles s’arment d’un peu de courage et de volonté…”
Un appel à la migration
Un appel à la migration
Par Dieudonné Korolakina
Photos: Frédéric Ilboudo
Le message porté par La Geste des Étalons, le spectacle joué lundi 1er décembre en ouverture du festival présidé par Adama Traoré, fait écho au thème choisi pour cette neuvième édition: “Migrations et Migritudes”. Il faut dire que l’auteur et metteur en scène de cette pièce, Luis Marquès, d’origine franco-espagnole, connaît bien le fait migratoire. D’abord immigré en Côte d’Ivoire où il crée, dans les années 1990, la compagnie Ymako Théâtri, devenue plus tard L’Œil du Cyclone, il s’est ensuite installé au Burkina Faso, où il travaille depuis quelques années. Pour sa pièce, il n’a pas hésité à “faire migrer” les compétences: c’est ainsi que le Français Thierry Perrichet est venu de France pour superviser la conception équestre du spectacle co-écrit par Luis Marquès et Amadou Bourou.
La pièce est toute entière contenue dans son titre: récit fondateur, La Geste des Étalons retrace l’inimitié entre deux peuples, aux portes du Sahel. Elle soulève des questions d’identité, de frontières, et entérine un rêve de paix inconscient. Un roi nomade et guerrier vivait au nord, dans le désert, tandis que sur le sud, fertile et rouge, régnait un grand empereur. Un jour, poussé par la famine et les tempêtes de sable, Narbor, le roi nomade, pénétra sans le savoir sur les terres de l’empereur du sud. Lutte terrible entre deux peuples. Et le moyen de la paix se révèle lorsque Dima, le fils du roi nomade, et Sylla, la fille unique de l’empereur, tombent amoureux l’un de l’autre.
Dans cette épopée, également odyssée musicale, Luis Marquès ébranle les assignations de scènes habituelles - le dispositif public-scène n’est pas totalement frontal - et fait de cette démonstration équestre l’objet d’une pure passion: celle qui happe l’attention et en maintient l’intensité jusqu’au bout, à travers les diverses péripéties de la trame. Il y suggère un espace semblable à un hippodrome. Des fils tendus bordent le pourtour de la scène en y laissant trois points d’entrée et de sortie. L’aire centrale, tel un no man’s land, constitue l’enjeu. S’y tiennent des joutes, des dialogues désespérés et des combats cruels. C’est de là également que le cavalier-narrateur, à l’image du griot, vient régulièrement lancer le cri de ralliement – “Dowoulo!” – qui raccorde la scène à la salle.
Présenté sur le mode d’une comédie dramatique, ce conte fait se succéder acrobaties, prestidigitation, mouvements chorégraphiques émouvants des chevaux… Autant d’images fortes qui marqueront pour longtemps la mémoire des spectateurs.
Mais la pièce porte, avant tout, le message puissant d’une ouverture à la migration. Le spectacle de Luis Marquès est un voyage pour l’esprit, mais il fait également converger vers le théâtre diverses esthétiques: échasses, danse, marionnettes, etc. En trouvant un écho favorable sur la terre malienne, La Geste des Étalons nous remémore le message du chanteur Tiken Jah Fakoly, dans le titre-phare de son dernier album: Ouvrez les frontières!
Le spectacle s’inscrit lui-même dans cette logique de migration, puisqu’il a commencé sa tournée à Ouagadougou et qu’il la terminera le 6 décembre 2008 à Sikasso, en passant par Bobo-Dioulasso, Ségou, Bamako et Siby. La Geste des Étalons mérite bien une traversée du monde… à cheval!
Un pan de l’histoire sahélienne
Un pan de l’histoire sahélienne
Odyssée musicale et chorégraphie équestre, la pièce d’ouverture de la neuvième édition du festival “Théâtre des Réalités” restitue une légende : l’origine des peuples du Sahel…
Par Fatou Kiné Sene
Dans La Geste des Étalons, le metteur en scène Luis Marquès montre de fort belle manière un pan mythique de l’histoire d’une partie de l’Afrique. Le spectacle raconte ainsi la rencontre entre deux peuples: celui du Sud, sédentaire, établi sur les terres rouges et fertile convoitées par ses voisins du Nord. Le premier est gouverné par l’empereur mossi. Le second, par un roi nomade. Sur la berge du fleuve Niger - le “Djoliba” -, treize chevaux, une ânesse et autant de cavaliers content l’histoire.
Le récit plonge le public dans le passé des contrées du Sahel. En quête d’un territoire prospère, loin de la famine et des tempêtes de sable, le roi nomade pénètre un jour sur les terres de l’empereur mossi. S’ensuit un rude combat entre nomades et guerriers mossi. Le champ de bataille est un décor simple: un pré clôturé par une corde. Au bord du fleuve, la scène devient hippodrome, incitant le spectateur à voyager dans l’imaginaire.
Comédie dramatique, La Geste des Étalons repose sur le cheval. Le spectacle dresse la saga de treize jeunes cavaliers, dont une fille, initiés au langage des équidés. Le combat impitoyable livré par les deux armées est une démonstration équestre. Sur leurs montures, les guerriers mossi font admirer leur virtuosité. Leur travail est facilité par des animaux parfaitement dressés, dont les déplacements ne sont pas sans évoquer une véritable chorégraphie. La force de la pièce, présentée pour la première fois au Mali, est par ailleurs renforcée par un travail de bruitages bien agencé qui fait ressortir la cavalcade des chevaux. Venus du Burkina Faso, les cavaliers de l’Écurie mandingue exhibent ainsi un héritage équestre multiséculaire. Le peuple mossi est en effet lié au cheval depuis l’Antiquité. C’est aussi le cas au Mali, “grand pays de cheval”, comme le remarque Luis Marquès. Pour le mettre en scène, aidé par le concepteur équestre Thierry Perrichet, la pièce vise à faire connaître ce pan de l’histoire des peuples sahéliens. C’est une tradition qui mérite d’être transmise.
Perchés sur des échasses, deux comédiens se transforment en gigantesques oiseaux blancs dont les apparitions fantastiques viennent ponctuer ce conte historique: ce sont les “hommes-esprits”, des êtres sorciers qui hantaient alors la région du Sahel, exécutant des sacrifices rituels. Pour protéger le peuple mossi des malheurs, le sang de la fille unique du roi devra être versé.
Au-delà de cette saga équestre, la pièce coproduite par la compagnie l’Œil du Cyclone et par l’Écurie du Cheval mandingue (Burkina Faso) peint également un tableau de paix. Le combat entre les deux peuples rivaux trouvera son issue du fait de l’amour né entre Sylla, la fille de l’empereur, et Dima, le fils du roi nomade. Leur union scellera pour toujours celle des habitants du Sahel. Une belle leçon pour l’humanité.
Une gifle nécessaire
Une gifle nécessaire
Par Frédéric Ilboudo (Texte et photos)
Les premières représentations en Afrique de l’Ouest de Bloody Niggers! ont eu lieu les 1er et 2 décembre 2008 au Centre culturel Français de Bamako, dans le cadre du festival “Théâtre des Réalités”. Servi par deux comédiens talentueux, Dorcy Rugamba et Younouss Diallo, ce spectacle hybride intégrant la vidéo et la musique bouscule les idées reçues ainsi que les conventions théâtrales…
Une scène ouverte. Sur fond d’écran, en arrière-plan, un visage momifié. Des baffles “retour” et trois micros rappellent une scène de concert. À leurs pieds, une tête noire et barbue. Un mortier et un pilon trônent au premier plan. C’est le décor de Bloody Niggers, dont la scénographie sobre et dépouillée fait voyager le spectateur dans l’imaginaire, chapitre après chapitre.
Au fil des minutes, le jeu tranche avec ce décor épuré. Pendant une heure et demie, trois acteurs – Dorcy Rugamba, Younouss Diallo et Philippe Toussaint – embarquent le public dans un cours d’histoire qui égrène les atrocités coloniales commises par “cette civilisation chrétienne qui, depuis Constantin Ier, n’a jamais voulu côtoyer qu’elle-même et elle seule dans le monde”, pour finir par interpeler chacun sur sa propre responsabilité dans la marche chaotique du monde et son cortège de crimes contre l’humanité.
Derrière les trois acteurs, au-dessus d’une peinture terreuse de Johan Daenen, un écran diffuse par intermittences des images vidéo concoctées par Jean-François Ravagnan. Tantôt virulentes, tantôt ironiques, tantôt hallucinées, ces images scanderont, au gré des chapitres, la prose déclamée par ce trio.
Bloody Niggers débute le 11 septembre 2001. Sur l’écran défilent les images des deux Boeings percutant les Tours jumelles du Word Trade Center. Un attentat qui aura causé, nous rappellent les acteurs, deux mille neuf cent quatre-vingt-six victimes. Après New York, le public est transporté dans les méandres du terrorisme contemporain et des exactions commises au nom de l’islam. Massacres et mutilations en Somalie, femmes décapitées, pendaisons au Soudan, boucheries du FIS et du GIA en Algérie… “Depuis [le 11-Septembre], nous sommes entrés dans une ère nouvelle, celle de la guerre totale contre la terreur – War on Terror! Il ne se passe plus un jour sans que l’on fustige l’islamisme, voire l’Islam.”
Commence alors la douloureuse énumération qui constitue la première partie de la pièce. Désignant l’Autre à la vindicte, stigmatisant sa barbarie, l’Occident semble en avoir oublié ses propres turpitudes: “Quand sera appelé l’Occident chrétien dans le box / Faites-nous signe pour que nous fassions le procès de Dieu le Père…” Ce procès n’épargnera ni l’Église, ni le “Pays des Lumières”, ni le mythe d’une Europe humaniste: “Nous passerons à la loupe les mouvements terroristes d’obédience chrétienne / Le Ku Klux Klan / La Phalange espagnole / Les politiques d’inspiration biblique / Les États théocratiques du nord américain / L’Apartheid sud-africain / Les dictatures de l’Internationale démocrate chrétienne / L’Espagne de Franco / Le Portugal de Salazar / Le Chili de Pinochet / Le Rwanda de la Première et la Deuxième République…” Cette longue litanie est enveloppée d’une musique tantôt religieuse, tantôt dramatique, qui ensevelit le public sous une ambiance de cathédrale.
Un récit épique d’où sourd une colère froide. La partition du trio est une charge sans concessions qui énumère avec une précision chirurgicale les massacres coloniaux perpétrés, au nom d’un humanisme ô combien dévoyé par “l’Occident chrétien”. Ce flot de barbarie ininterrompu n’est pas accidentel, il ne résulte pas d’un phénomène naturel, nous dit la pièce. Et Bloody Niggers de questionner les valeurs de cet Occident qui est si prompt à s’offrir en modèle au reste du monde, prétendant apporter sa “civilisation” par le fer et le sang, à coups de Croisades, d’expéditions coloniales, de guerres de conquêtes et de missions. Mais où est la civilisation? Et où commence la barbarie?
Extermination des peuples d’Amérique, des Grandes Antilles, de Tasmanie; crimes contre l’humanité à répétition; Croisades; traite négrière; Shoah… Combien de peuples dans l’Histoire ont payé de leur sang la “mission civilisatrice” que l’Europe s’est attribuée? Indiens d’Amérique, Hereros de Namibie, Aborigènes de Tasmanie, Algériens… Combien de charniers au nom de Dieu, de l’or ou du “fardeau de l’homme blanc”? Quel souvenir ont-laissé dans la mémoire des Européens cette part sombre de leur histoire? Le trio moque cette “Amnésie internationale”, dans un slam fiévreux.
Avec ironie, les acteurs imaginent ensuite appliquer la loi du Talion et la “tolérance zéro” aux auteurs de ces crimes du passé: “Je ne sais pas exactement combien de vies humaines doit la Belgique au Congo, mais si on veut mettre les compteurs à zéro, tous les Belges – femmes, enfants et personnes âgées – doivent
partir dès maintenant pour les travaux forcés.” Jusqu’à envisager de passer la famille royale au fil de la machette! “Réveillez-vous!” semble dire l’explosion assourdissante qui sort des baffles à chaque nouveau chapitre épluchant les meurtrissures de l’humanité asservie.
Dans la seconde partie du spectacle le trio se disperse, frénétique et fiévreux. Désormais, c’est l’Afrique qui est convoquée. Pendant que Younouss Diallo lance une charge contre la promesse trahie des indépendances, stigmatisant les présidents-tyrans d’une Afrique poubelle où la farandole des ethnies fait valser les têtes, Dorcy, prenant forme féminine, incarne pendant de longues minutes cette Afrique muette, figée, mutilée, tétanisée, sous le regard méprisant et avilissant des institutions internationales – les deux autres acteurs, lunettes noires et attachés-case. Suivent deux longs monologues. Younouss Diallo prend d’abord à partie cette Afrique fossoyeuse de son propre avenir, incapable de s’unir, archipel d’ethnies ayant repris à son compte la pensée coloniale. Puis, dans une longue tirade torturée, transe rythmée par les coups de pilon, Dorcy Rugamba, dans un “Kaddish pour l’ange noir”, régurgite cette accumulation de dégoût comme on vomit.
La diction des acteurs est parfaite, leur mémoire infaillible. Passionnant, envoûtant, Bloody Niggers! est une gifle nécessaire, un hymne poétique, rythmé, qui ensorcelle un public atterré. Dans ce théâtre épique où le récit est action, où la parole est souvent pénible à entendre, l’humour, bien présent, en laisse pourtant certains sceptiques: “J’ai senti pendant un bon moment qu’on était en train de m’éduquer”, lâche un spectateurs à la fin du spectacle.
Pour d’autres, ce sont les choix artistiques qui posent question. “Je n’ai pas de jugement sur la mise en scène parce que chaque metteur en scène est libre de ses choix, précise Ildevert Méda, metteur en scène et comédien burkinabè. Mais je me demande: avait-on besoin d’images vidéo dans cette pièce de théâtre? Si je veux voir un film, j’irai dans une salle de cinéma.” Quant à Khalid Tamer, metteur en scène marocain, il estime qu’ “il n’y a pas de mise scène dans Bloody Niggers mais plutôt une mise en espace. Le théâtre, c’est avant tout un jeu d’acteurs, alors que dans Bloody Niggers ce n’était pas le cas”.
À l’origine du projet, deux comédiens africains: le Rwandais Dorcy Rugamba, qui signe le texte, et le Sénégalais Younouss Diallo, qui s’est chargé de l’adaptation. Rescapé du génocide des Tutsi du Rwanda, Dorcy Rugamba, avec ce texte dur et cru, entend choquer. Une sorte de catharsis dont la puissance artistique repose davantage sur la force du texte que sur les situations de jeu des acteurs.
Tous deux sont accompagnés sur scène par Philippe Toussaint, qui a rejoint le groupe au pied levé pour les deux représentations tenues à Bamako à cause de l’indisponibilité de Pierre Étienne, le troisième acteur de la pièce. La mise en scène est signée Dorcy Rugamba et Jacques Delcuvellerie, du Groupov. Elle est typique du genre contemporain, où l’accent est mis sur les effets spéciaux (écran, son, bruitages…) et où l’on sent la volonté de proférer une parole plutôt que de jouer en situation dramatique. C’est d’ailleurs le principal regret que l’on peut éprouver, quand on connaît la valeur des comédiens que sont Dorcy Rugamba et Younouss Diallo.