Adama CONOMBO, psychologue à L'ASJ/«Autant il faut une prise en charge pour les enfants victimes , autant il en faut pour les agresseurs.. .»
«Autant il faut une prise en charge pour les enfants victimes , autant il en faut pour les agresseurs.. .»
Adama CONOMBO, psychologue et secrétaire exécutif de l’ASJ
Dans le prolongement des actions entreprises par l'UNICEF et le ministère de l'Action sociale et de la Solidarité nationale en faveur des enfants victimes de maltraitances, l'Association Solidarité Jeunes (ASJ) a fait du soutien aux enfants victimes de violences sexuelles son credo. Avec l'appui de l'UNICEF, Adama CONOMBO et ses collaborateurs tentent, autant que faire se peut, de donner une nouvelle vie aux enfants. Avec son équipe dans laquelle interviennent des avocats, des gynécologues et des psychologues, ils se battent pour redonner espoir à ces enfants, à ces jeunes et à leurs familles. Il faut le dire, sans l'intervention des premiers responsables de cette association auprès des victimes, certains témoignages que nous avons pu recueillir n'auraient pas été possibles. Nous avons approché M. CONOMBO, qui est psychologue de profession et secrétaire exécutif de l' ASJ, pour mieux comprendre comment sa structure soigne les blessures morales des enfants et celles des familles.
On dit que la guérison physique est bien, mais celle psychologique est encore mieux. Quels sont les troubles psychologiques auxquels sont exposés les enfants victimes de viol ?
Adama CONOMBO : Dans le processus de prise en charge des enfants victimes des violences sexuelles, l'une des composantes fondamentales, c'est l'encadrement, l'accompagnement et le suivi des victimes ainsi que de leur famille. L'agression sexuelle de par ce qu’elle engendre comme angoisse, comme anxiété, comme non-dits, peut entraîner ou favoriser dans la structuration de la personnalité, l'installation d'un certain nombre de troubles psychopathologiques qui peuvent avoir des répercussions sur le devenir de l'individu. Dans l’immédiat, les troubles que peut avoir la victime sont des troubles d’angoisse, des troubles obsessionnels, qui sont des troubles liés à la désorientation spatio-temporelle, mais également ceux qui sont en lien avec l’image inconsciente du corps ou le schéma corporel ; ça c'est dans le court terme. Par exemple, certains enfants expriment par peur que leurs parties génitales soient endommagées, déclarent que leur corps est sale ou se livrent à des rituels de lavages obsessionnels.
A moyen et long terme, si ces troubles ne sont pas pris en charge cela peut favoriser l'émergence d'un certain nombre de troubles beaucoup plus sévères comme des psychoses schizophréniques, des formes de perversions sexuelles comme le transsexualisme, ou des affections névrotiques. Notamment la névrose d'angoisse. Elles peuvent favoriser dans une certaine mesure, l'installation de conduite adictive, toxicomanie, alcoolisme, tabagismes, etc. Il y a des signes qui ne trompent pas. Les enfants peuvent témoigner de connaissances sexuelles inadaptées à leur âge ou à leur degré de développement (dessins suggestifs, mots crus, gestes sexualisés, jeux sexuels précoces, etc.), manifester des préoccupations sexuelles excessives pour leur âge (curiosité soudaine portée aux parties génitales des êtres humains ou des animaux, questionnement récurrent sur la sexualité, voyeurisme, allusions répétées et inadéquates à la sexualité), se livrer à des conduites auto-érotiques prématurées, parfois compulsives (attouchements des parties génitales, masturbation excessive, y compris en public, introduction d'objets dans le vagin ou l'anus) ou adopter des conduites sexuellement provocantes et exhibitionnistes. Certains présentent un comportement séducteur et., sexualité, érotisant leurs rapports à autrui, attribuant une connotation sexuelle injustifiée aux attitudes des adultes, voire harcelant ou agressant sexuellement des adultes ou d'autres enfants. A contrario, d'autres enfants manifestent un rejet de tout ce qui touche à la sexualité. Dans tous les cas, ces comportements doivent interpeller les adultes. Quel que soit son âge, un changement récent et massif du comportement de l'enfant doit inciter d'emblée à envisager l'éventualité d'un traumatisme (non spécifiquement sexuel). L'apparition subite de peurs incontrôlables, de pleurs, d'une tristesse, d'une énurésie, d'une encoprésie, de troubles de l'appétit (anorexie, boulimie), de troubles du sommeil (terreurs nocturnes, insomnies, cauchemars, difficultés d'endormissement, refus d'aller se coucher) ainsi que le désinvestissement d'activités significatives (conduites ludiques, scolarité) sont des signes d'alerte.
Dans ce cas, comment se fait l'approche psychologique chez l'enfant victime ?
AC : Au niveau de notre association, l'approche pour la prise en charge des enfants victimes est une démarche concertée qui se fait aussi avec l'enfant, en partant du fait qu'il a un potentiel adaptatif, qui est soutenu par des normes qui lui sont propres. C'est un être en croissance, c'est un être en devenir, qui a une réalité qui lui est propre, qui a un rythme de croissance. L'association a deux psychologues qui sont à l'écoute de ces enfants pour essayer de comprendre ce qui leur ait arrivé, afin de pouvoir amorcer le difficile travail du deuil. Mais cette démarche de réparation, de cette réhabilitation psychologique, se fait également de concert avec la famille, qui est une interface fondamentale. Comme vous le savez, la famille est le cadre, par excellence de socialisation de l'individu, c'est dans ce milieu également que l'enfant intègre les premières valeurs nécessaires à la socialisation. Les membres de la famille élargie jouent également un rôle important dans le processus d'approche, ainsi que d'autres structures relais qui accompagnent Solidarité jeunes dans cette démarche.
Et si le bourreau est un membre de la famille ou un proche ?
AC : Selon une étude que nous avons menée, il ressort que parmi les cas d'abus sexuel corroborés, les membres de la famille (parents) représentent 11,8% selon la perception des enfants, et 19,2% selon les parents. Les abus sexuels commis par des tiers autres que les parents représentent la plus grande proportion des auteurs présumés. Lorsque l'agresseur sexuel est un membre de la famille, on a à faire à un cas d'inceste, et là c'est assez difficile. L'inceste a ceci de particulier qu'il met en scène un lien imaginaire à un lien de réalité. En tant qu'intervenant, il faut avoir un recul et avoir une certaine capacité à pouvoir vous maîtriser sinon vous pouvez vous effondrer sur le plan émotionnel. Ça demande donc de la distanciation, de la maîtrise vis-à-vis de l'évènement. Ce que l'on envisage dans ce cas de figure, c'est le placement de l'enfant chez un tiers de la famille plus structurée ou dans une structure d'accueil. Ça c'est au cas où la famille s'avère défaillante dans sa fonction de protection. A la suite de quoi, un travail de fond sera fait et avec l'enfant et avec la famille, pour leur permettre de pouvoir se restructurer, sur le plan psychologique. Parce qu'il ne sert à rien de travailler pour réinsérer un enfant dans un milieu pathogène. Il y a un travail que l'équipe met en place pour aider non seulement l'enfant, mais aussi la famille à pouvoir amorcer une certaine forme d'équilibre psychique, mais également social de sorte à ce que l'enfant soit accepté. Dans les situations d'inceste, ce qui est intéressant, c'est que, la situation imaginaire, fantasmatique, devient une situation de réalité. C'est-à-dire qu'un parent peut-être remplacé par un enfant et si le fantasme devient une réalité, c'est difficile pour l'enfant, et cela au regard de son immaturité psychique, à son manque de maîtrise pulsionnelle de pouvoir comprendre ce qui est lié à ces scènes-là. C'est un travail d'accompagnement qui demande beaucoup de patience de la part de l'équipe ce que nous arrivons à faire correctement.
Après l'approche, s'amorce le processus de rétablissement, quelles sont les différentes étapes à franchir par les victimes pour recouvrer la paix de l'âme ?
AC : Pour recouvrer la santé mentale, c'est tout un processus chez les enfants victimes d'agressions sexuelles. Le processus de rétablissement est unique pour chaque personne. Cependant, il existe dans la plupart des cas des similitudes. Les victimes ou les survivants, c’est selon, peuvent passer par plusieurs étapes au cours de leur rétablissement qui sont entre autres : le déni, il n'est pas rare que les personnes soient incapables de dépasser cette étape pendant plusieurs années après la fin des manifestations physiques de l'abus. De nombreux survivants acquièrent des dépendances ou adoptent des comportements compulsifs pour tenter de masquer les sentiments et les émotions liés à l'abus sexuel dans l'enfance. Il y a la prise de conscience confuse où, les victimes commencent à reconnaître le lien entre leur traumatisme passé et leurs problèmes actuels, ce qui peut provoquer de l'anxiété, de la panique et de la peur. Passé cette étape, vient l'ouverture aux autres, étape pendant laquelle, les victimes peuvent se trouver dans une situation où il est plus douloureux de garder le silence que de courir le risque de s'ouvrir. Outre ces étapes on peut également parler de la colère, de la dépression et du regroupement qui sont des étapes tout aussi importantes, mais qu'il sera fastidieux de définir ici. L'étape ultime reste celle appelée, aller de l'avant, où les pensées des survivants ne sont plus tournées vers les expériences négatives du passé, mais plutôt vers des projets d'avenir positifs.
Tout ce que vous avez dit plus haut concerne les victimes. Pensez-vous que les agresseurs ont, eux aussi, besoin de suivi psychologique comme les victimes?
AC : Oui, les agresseurs eux-mêmes ont besoin de suivi psychologique parce que ce sont des sujets qui sont malades dans la tête; ils sont déstructurés, désarticulés; ils sont en état de souffrance, donc ça demande une prise en charge. Le problème c'est qu'en l'étape actuelle des choses dans notre pays il n'existe pas encore de structures spécialisées dans ce sens. Mais nous pensons qu'avec le soutien des partenaires comme l'UNICEF, le ministère de l'Action sociale, et d'autres comme Plan international, la GTZ, ça ne sera qu'une question de temps. Il ne sert à rien d'avoir une prise en charge des enfants victimes de violences sexuelles si les agresseurs, ne sont pas pris en charge.
Mais en attendant, que faut-il faire pour dissuader les agresseurs et les potentiels agresseurs?
AC : Nous pensons que la meilleure arme dans ce genre de lutte, reste l'éducation, la sensibilisation, la prévention. A mon avis, il faut développer des programmes de prévention adaptés. Nous pensons que dès le bas âge, il faut donner aux enfants des capacités à pouvoir s'autodéfendre, à pouvoir se protéger contre les agressions sexuelles. Depuis le préscolaire et même à l'intérieur du giron familial. Il faudrait que les parents soient mieux outillés pour être à même de parler des questions de sexualité à leurs enfants, que ça ne soit pas une question tabou, qu'ils puissent aider les enfants à prendre en charge leur sexualité quand il le faut. Mais il faudrait également que les agresseurs bénéficient d'un programme; à long terme, nous pensons que ça peut participer à prévenir cette situation exécrable qui, à mon avis, est l'une des violations les plus flagrantes des droits de l'enfant. Au niveau de la justice, nous demandons beaucoup plus de diligence dans le traitement des dossiers, et surtout de la fermeté dans les décisions judiciaires pour dissuader les agresseurs et ceux qui rêvent d'abuser des enfants. J'insiste là-dessus parce que, à l'association Solidarité Jeunes, sans trop de prétention, c'est plus de 800 enfants et jeunes victimes de violences sexuelles qui sont sous notre tutelle à Ouaga et à Bobo. Il y a aussi bien des garçons que des filles qui, représentent plus de 80%. Mais ça, ce n'est que la partie visible de l'iceberg. Un travail concerté se fait avec les structures déconcentrées du ministère de l'Action sociale avec plusieurs autres ONG et associations, sous la houlette de l'UNICEF dans sa section protection qui, à travers son appui a su donner de la vie, du souffle, de l'espoir à ces enfants victimes de violences sexuelles. Et c'est une opportunité pour moi de féliciter cette institution onusienne. En 2002, notre pays a pris part à un congrès international sur les violences sexuelles faites aux enfants à Yokohama au Japon, le prochain congrès est prévu à Rio de Janeïro au Brésil en octobre prochain. A travers vos colonnes, je voudrais lancer un vibrant appel aux plus hautes autorités du pays et aux partenaires financiers et techniques, pour que la participation du Burkina Faso soit de taille, de sorte à ce que nous puissions partager nos expériences en terme de bonnes pratiques sur la problématique avec le concours des médias et des acteurs clés qui au quotidien se sacrifient pour la cause de ces enfants. Dans notre pays, je me réjouis de l'amorce véritable de la prise de conscience par rapport à la protection et la promotion des droits de l'enfant. Mais nous demandons plus de pugnacité, plus d'engagement. Car il faudrait que les programmes qui existent, soient exécutés de façon concrète sur le terrain, et que les programmes en souffrance, le programme Action éducative en milieu ouvert (AEMO), celui de la lutte contre la traite des enfants, celui contre les violences sexuelles faites aux enfants, etc. deviennent une réalité avec .J une implication forte des ONG et des organisations à base communautaire et de la presse.
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