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CONSTITUTIONS AFRICAINES/La malédiction des tripatouillages


La malédiction des tripatouillages



Le tripatouillage des Constitutions : une malédiction? En tout cas, la fronde sociale grandit au Cameroun où l'on s'oppose ouvertement à toute tentative de remettre le président Paul Biya en selle à la fin de son mandat en 2011. Cette fois, une bonne partie du corps social dont une forte proportion des jeunes des villes et des campagnes semble avoir définitivement tourné le dos au monarque qui s'ignore.

Symbole de la résistance, les jeunes Camerounais affichent aujourd'hui une détermination qui tranche d'avec celle des précédentes manifestations. Elle est aux antipodes des campagnes d'explication et de mobilisation orchestrées par les partisans du chef de l'Etat dont très peu oseront lui dire franchement "trop c'est top !". La colère des jeunes est à la hauteur du bilan du régime Biya : classé régulièrement au sommet du hit-parade des pays les plus corrompus au monde, le Cameroun symbolise aujourd'hui la mal gouvernance à tous les niveaux.

Voilà pourtant un pays doté de nombreuses richesses naturelles. Un des rares du continent à disposer, sur tous les plans, de cadres de très grande valeur, à l'intérieur et surtout à l'extérieur. Parce que les dirigeants brillent par leur myopie, leur incurie et leur penchant pour la répression, trop de Camerounais ont choisi de vivre en exil. Leur concours aurait pourtant largement profité au pays si le gouvernement Biya avait su faire preuve d'un minimum de leadership et de patriotisme. L'on se surprend toujours à trouver le Cameroun au bas du tableau quant aux réalisations en matière de développement. Comme si rien n'avait été fait après le premier président Amadou Ahidjo. Après tant d'années de règne obscur, le Cameroun, sous un autre mandat de Paul Biya, voguera très certainement vers son déclin.

L'occasion est ainsi offerte à l'opposition politique de se refaire une santé en remobilisant ses troupes. En particulier, son chef de file, le leader camerounais anglophone John Frundi et son Social Democratic Front (SDF), frustré à chaque rendez-vous électoral. Maintes fois, les dirigeants de ce parti se sont plaints d'avoir été dépossédés de leur victoire aux élections. Mais, il appartient surtout à la société civile de s'organiser beaucoup plus sérieusement pour donner une plus grande impulsion à ce mouvement sans précédent. Elle semble endormie dans une forêt en mouvement et gagnerait à accentuer la pression et à conforter la jeunesse dans son action. Il lui faut étroitement collaborer avec la presse dont il faut saluer la grande combattivité. Fort heureusement, en effet, certains de nos confrères osent s'affirmer en toute indépendance dans une Afrique où les régnants sont passés maîtres dans l'art de museler l'opposition, d'embastiller ou d'assassiner lâchement des journalistes exerçant leur métier.

Comme partout ailleurs sur le continent, les nombreux courtisans qui errent dans les couloirs du palais, font tout pour convaincre le président de rempiler. Le plus déconcertant, c'est le comportement irresponsable de cette partie des élites ou assimilés qui savent si bien ourdir les complots, gérer les humeurs du prince, le couper de ses sources, le mener du bout du nez, pour ensuite rire de ses tourments le moment venu. Non sans avoir rempli leurs poches et fait profiter au maximum leurs parents et amis, aux dépens du contribuable. A l'image du Cameroun, différents pays d'Afrique centrale sont largement en retard en dépit de leurs immenses ressources.

Le tripatouillage des Constitutions est une méthode abjecte permettant de sevrer le citoyen-électeur de son libre choix. Ce n'est ni plus ni moins qu'une forme subtile de coup d'Etat. A ce titre, il est tout aussi condamnable que les autres voies non constitutionnelles, lesquelles -on l'oublie bien vite- ont parfois facilité l'accession au pouvoir de plusieurs dirigeants actuels du continent. De telles méthodes, on l'aura remarqué, semblent devenir le leitmotiv de pouvoirs ankylosés en Afrique francophone où, pêle-mêle, fils, frères et autres protégés croient détenir un pouvoir de succession de droit divin. Comme si d'autres citoyens, outre les nombreux courtisans embusqués, n'étaient pas en droit de rêver de solliciter le suffrage du citoyen.

Les exemples foisonnent qui devraient donner à réfléchir. Entre autres, le drame kényan devrait inspirer ces dirigeants qui semblent ignorer qu'aujourd'hui les peuples africains ont un seuil de tolérance qu'il faut bien se garder de franchir. Certes, le parrain français a toujours besoin de ses larbins. Et l'exemple encore frais du Tchad le confirme. Toutefois, une "rupture" s'opère graduellement entre ces larbins et les peuples africains qui prennent conscience des leur force. Désormais convaincus des voies républicaines de sortie de crise, ils s'opposeront fermement à toute pérennisation des pouvoirs à vie. Le méconnaître serait une erreur fatale.

René Dumont n'avait pas tort quand il affirmait : "L'Afrique noire est mal partie." Car l'Afrique noire n'est même pas partie, ceux qui dirigent le continent ayant apparemment perdu leur âme. Désormais, ils gouvernent sans aucun sens de l'éthique, de l'honneur et de la dignité.

L'Union africaine (UA) avec le Gabonais Jean Ping pourra-t-elle y faire quelque chose? Rien n'est moins sûr, le nouveau président de la commission étant un protégé des dinosaures du continent. Il est peu probable qu'il s'attaque à des sujets aussi tabous que les tripatouillages des Constitutions.

Egalement scandaleux le jeu de l'Occident qui perd chaque jour de sa crédibilité aux yeux des peuples africains du fait de son inertie face à ces tripatouillages qui défraient régulièrement la chronique. Autant les partenaires occidentaux savent condamner avec promptitude et célérité rébellions et autres tentatives de coups d'Etat, autant ils brillent par leur silence quand les lois de la république sont violées.

Il faut dénoncer les tripatouillages des Constitutions, ces nouvelles magouilles de régimes qui n'ont plus aucune solution à proposer aux Africains, mais qui cherchent à se perpétuer sans honte. Visiblement, opposition, société civile et jeunesse militante des villes et campagnes doivent œuvrer, de concert, pour mettre fin à ces agissements, à cette éternelle reconduction de la pensée unique et de pouvoirs trop longtemps…iniques.

Journal Le Pays



19/02/2008
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