Tendance Culture

Croyance /Le serpent sacré de Séguénéga

 
 

 

A la découverte du génie-ancêtre de la famille des Bélem !

Devant cette forte occidentalisation de l’Afrique, de nombreuses coutumes et traditions sont menacées de disparition. Cependant aux encablures de Séguénéga, bourgade située à 55 kilomètres de Ouahigouya, chef-lieu de la région du Nord, un fait suscite curiosité et interrogation tant bien qu’il semble relever des mystères. C’est le «Waafo» (boa géant) ou les «Wissi» (parce ce qu’ils seraient nombreux) qui côtoient les populations et dont les faits et les gestes s’imbriquent dans leur vécu quotidien. Gentils ou méchants, ces reptiles font partie intégrante des autochtones de cette localité. Il faut composer avec eux ou vous avez tout le village sur votre dos.

“Douze mètres de long, 31cm de circonférence et une peau très épaisse,” tels sont les grands traits d’un des serpents sacrés de Séguénéga. Les serpents géants de cette contrée du Yatenga suscitent curiosité et étonnement au regard de leurs faits et gestes et du mythe qui les entourent. Sous l’appellation de
L’intérieur des loges de serpents sacrés de Séguénéga fait peur. On y trouve des ossements.

“serpents sacrés de Séguénéga ”, le «Waafo» (serpent en mooré) ou plutôt «les Wissi» ( pluriel de serpent en mooré) sont nichés dans les grottes, dans des fosses, dans les grands arbres surplombant le département mais aussi dans la mare dite “ mare aux serpents sacrés ”. Ils sont très nombreux et envahissent la localité. Entre ces derniers et les populations, c’est une cohabitation tantôt conflictuelle tantôt  «fraternelle» que prolongent les interdits ou les totems. L’évocation du terme “ waafo”, suscite rétractation chez les conservateurs. La famille Belem est seule détentrice des rites et coutumes intéressant les reptiles géants, ses fétiches protecteurs .
Tiraogo Salam Bélem, «le Ful naaba» ( chef de terre), est le patriarche de la famille Bélem. Il détient les secrets mais à peine s’intéresse-t-on aux serpents que son visage se crispe. Perplexe, il nous interroge : “Pourquoi vous les enfants, vous voulez savoir ce qu’est le « Waafo» alors que nos grands parents ne l’ont pas su? ” Pour lui, il n’est pas possible de connaître la nature d’un génie . Le vieux se rebiffe toujours, même après moult insistances . “ N’en parlons pas, je vous en prie» supplia- t- il. “ Et personne ne le saura jamais. Si vous voulez savoir ce qu’il est, allez demander à Dieu comment l’homme a été créé et quand il vous le dira, revenez me voir pour que je vous révèle ce que vous désirez savoir ” conclut Tiraogo Salam Bélem. C’est peut-être l’aura et la présence du maire , Mamadou Bélem, un fils de ladite famille qui ont contraint le vieil homme à nous confier ceci : “l’ “aîné des serpents ne sort jamais, il est nourri par les autres (les petits et les moins âgés des serpents). Son déplacement produit un bruit, mais on ne le voit pas( d’autant qu’il s’agit d’un génie). En ce moment, les vieux disent que c’est le propriétaire du village qui arrive.” 

Faits et gestes troublants

Les faits et gestes des «ancêtres des Bélem» ne laissent pas indifférentes les populations. Les témoins de leurs agissements ne manquent pas de qualificatifs pour décrire ni de verbe pour narrer les évènements. Raymond Damiba est professeur d’Education physique et sportive (EPS) au Lycée départemental de Séguénéga. Il a vécu une expérience particulière avec le reptile. Il raconte : “Un matin, j’ai entendu des piaillements inhabituels de ma volaille.
J’ai su immédiatement que quelque chose se passait dans ma basse-cour , car j’avais déjà entendu parler du serpent. Dès que j’ai ouvert mon poulailler, j’ai vu qu’il enserrait un canard et même l’avait presque avalé. C’était la première fois que je voyais un serpent  d’une telle envergure ”. Le professeur d’EPS, prenant la poudre d’escampette, dû se résoudre à appliquer sur le terrain toutes les théories de tactiques de course de vitesse apprises à L’Institut national de la jeunesse et de l’éducation physique et sportive (INJEPS).
Cependant, sa femme Awa Bélem, native de Séguénéga, après la fuite de son mari prit son courage à deux mains pour amadouer   la bête  en ces termes :“Pourquoi te comportes-tu de la sorte avec les étrangers ? N’as-tu pas honte ? ”. Après ces «remontrances», selon M. Damiba, le serpent rejeta le canard qu’il avait quasiment avalé. Aussi les voisins accoururent-ils pour envelopper le reptile avec un sac . “Ce ne fut pas facile car le serpent était agressif et mesurait environ 2,5 m de long. C’était le plus petit des serpents car d’autres peuvent avaler même un bouc” explique l’enseignant. Malgré leur nombre impressionnant ( une centaine selon les détenteurs des rites du «Waafo»), les habitants de la localité ne s’inquiètent pas du tout de leur présence car ces reptiles qui se conduisent comme des animaux domestiques n’attaquent que lorsqu’ils sont agressés. “S’il arrive qu’un serpent morde un particulier qui le piétine à la queue, la blessure n’a pas besoin d’être soignée. La plaie est lavée avec l’eau de la mare aux serpents sacrés. Et la guérison est immédiate  ” explique le vieux Bélem. Les serpents s’attaquent aux animaux quant ils ont faim. Il s’agit surtout de la volaille .
Bintou Salogo, une habitante de la localité du haut de sa soixantaine confie : “ j’ai reçu plus de quatre fois la visite du serpent. Il mesurait plus de 12 m . Il a avalé la moitié de ma volaille” .

Le plus ancien des Bélem, Tiraogo Salam Bélem detient tous les secrets du «Waafo».
Un des patriarches qui animent la vie du «Waafo» Boureima Bélem.

Pour l’adjudant des Eaux et forêts Ignace Somé, Cette espèce de serpent est protégée par l’Etat et les populations contribuent par le culte qu’elles lui vouent, à cette protection. Il témoigne qu’une fois, l’un des serpents a été mortellement blessé par un véhicule. S’étant traînée sur environ cinq kilomètres, la bête mourut en ayant pris le soin de tourner la tête vers l’Est .Selon les explications des sages, la position de la tête du serpent signifiait beaucoup de choses.  D’abord, elle indiquait la route empruntée par le camion, ensuite qu’un malheur allait frapper le chauffeur du véhicule. Deux jours plus tard, les anciens disent avoir appris qu’un conducteur de camion était décédé en heurtant un arbre. Pour ces derniers, il s’agit probablement de celui qui a roulé sur leur serpent dont les dimensions étaient proches de 12m de long , 31cm de circonférence avec une peau très épaisse.
Monsieur Ignace Somé affirme avoir été saisi, en tant que technicien de l’environnement, pour assister à l’enterrement solennel mais à la manière humaine de ce serpent.
Un autre fait bouleversant est relaté par L’adjudant : “Un jour, j’ai reçu la visite du génie des Bélem.  Il a pris un de mes poulets . Etant d’origine Dagara, j’ai plaisanté en lui disant que je vais le convoquer à la Gendarmerie pour qu’il rembourse mon poulet. Deux semaines plus tard, il est revenu dans mon poulailler mais sans rien prendre. Je me dis qu’il avait compris mes récriminations. Des habitants offrent parfois volontier leurs volailles malades aux serpents. Toutefois, en esperant que le serpent ainsi nourri ne reviendra pas se ravitailler lui-même. Comme s’il était doué de raison, le serpent retourne docilement dans sa loge après avoir avalé sa proie. Si le reptile s’introduit dans un poulailler sans que personne ne s’en rende compte, et si par la suite le propriétaire l’aperçoit à sa sortie en manifestant visiblement son désaccord et sa colère, le boa vomit tout ce qu’il a pu prendre sur place dans la cour avant de s’en aller. Quelles que soient les excuses que vous lui présentez, le boa ne récupère pas ce qu’il a vomi. C’est pourquoi, selon Boureima Bélem, un des sages de Séguénéga, “  il est très rare que les gens avertis manifestent leurs désapprobations lorsqu’ils viennent à perdre une poule. Le plus souvent, après que le serpent eu avalé sa première poule, le chef de la famille ou n’importe quelle autre personne s’empresse de le ramasser et de l’amener loin de la cour pour éviter la récidive. L’animal sacré est docile et se conduit comme s’il avait été dompté. Un étranger peu prendre le serpent s’il n’a pas peur en évitant de toucher à sa queue. Dans le cas contraire il demande le secours d’un autochtone. Le reptile ne s’attaque qu’à celui qui touche à sa queue”.

Symbolisme du «Waafo»

Selon certaines indiscrétions, il ressort que le wafo est symbolisé par un gris-gris caché dans une gibecière. Aucun des différents successeurs n’a osé violer l’interdiction de voir le contenu du sac. Selon Boureima Bélem, des gens malveillants et curieux ont déjà bravé le surmoi en ouvrant la musette. Subséquemment ils furent envoyés «ad patres» trois jours après leur bravade . Les nombreuses victimes tombées par le passé et peut être le sentiment de culpabilité expliquent le mutisme de Salam Bélem lorsque l’étranger cherche à investiguer davantage sur le mythe du «Waafo».

Quand le contenant des fétiches et/ou du génie commence à s’user, il est immédiatement transvasé dans un autre. De nos jours, personne ne connaît exactement le nombre de sacs contenant le gris-gris. D’aucuns estiment leur nombre à 1207. La gibecière est soigneusement .
Après une année de recherche, nous avons finalement retrouvé un des serpents sacré de Séguénéga.

conservée par le doyen de la famille Bélem Pour lui, le mystère du serpent est né de l’installation des premiers ancêtres que sont les frères Zanwouri et Maswala dans cette localité, d’où l’appellation Séguénéga qui signifie en français “ La rencontre ”. Le serpent symbolise pour ainsi dire le trait d’union entre le ciel et la terre comme dans de nombreuses cosmogonies africaines. Le ciel est le père et la terre , la mère. Pour eux cette rencontre est nécessairement féconde.
Dans la Bible, le serpent incarne Satan. En revanche, le reptile représenterait aussi l’immortalité, l’infini et les forces sous-jacentes menant à la création de la vie dans plusieurs cultures du monde. Dans l’antiquité grecque, le dieu de la médecine, Esculape, se reconnaîtrait dans la symbolisation du serpent. Plus explicitement, il voyait dans les qualités et les attributs du serpent l’expression de sa grâce , de sa finesse mais aussi de sa beauté incomparable à nulle autre.
L’humanité ayant conservé beaucoup de la mythologie grecque, l’on peut comprendre pourquoi le serpent se retrouve enroulé autour du caducée. De Maine Durieu et Bertrand Goy dans leur livre “ Bronzes Gan, la spirale du serpent ” font remarquer que les pendentifs nommés «torfan», «fanaga» ou «débri» en forme de serpent chez les Gans( un groupe ethnique vivant dans le Sud-Ouest du Burkina) sont fabriqués par des artisans et constituent des objets de protection mystiques contre le mal, le mauvais sort et la maladie.
De même, la cosmogonie nordique fait remarquer que l’arbre du monde (Yggdrasil), a ses racines rongées en permanence par un serpent (Nidhögg) ce qui permet la régénérescence du monde. Ouroboros, le serpent qui se mord la queue, symbolise l’autofécondation et l’éternel recommencement. Quetzalcoatl, le serpent à plumes, serait allé dans le monde souterrain pour y créer le cinquième monde de l’humanité. Dans l’imaginaire des Chamans, les serpents entrelacés que leurs artisans confectionnent représentent la molécule d’ADN portant la connaissance et l’ information génétique.
A Séguénéga, le «Waafo» est perçu comme la somme des esprits des ancêtres veillant sur la grande famille des Belém. En un mot, le «Waafo» est un protecteur . Le dieu «Waafo», selon les détenteurs de son rite n’acceptera pas abandonner son peuple pour suivre une autre famille. Comme tout dieu , il est souverain et se suffit à lui-même. “ Si un membre de la famille Bélem éprouve des difficultés d’ordre matériel ou moral, il peut et doit adresser sa demande au «Waafo» via le patriarche . Se voyant mis à l’épreuve, le dieu protecteur fait tout pour ne pas décevoir ses contemplateurs” explique le vieux Bélem.
Comme dans toute organisation secrète, dans toute secte traditionnelle, le «Waafo» a ses dirigeants. Nonobstant la réputation de Séguénéga et ses reptiles sacrés, le «Waafo» est avant tout une propriété exclusive, inaliénable et non cessible des Bélem. Il est et restera leur protecteur : les anciens l’ont ainsi voulu. En Egypte, le cobra, l’uræus sacré, protégerait les pharaons. Dans l’hindouisme, mais aussi le bouddhisme, un cobra géant protège Bouddha en méditation.

Le rituel de la fécondité par le «Waafo»

La fécondité est très importante pour la socialisation d’une personne en Afrique noire en général et à Séguénéga en particulier. C’est pourquoi certains interdits de cette contrée du Burkina Faso s’applique même aux étrangers de passage. En effet interdiction est faite à toute femme en grossesse de traverser le département de Séguénéga en catimini. Selon les patriarches, “ Toute femme enceinte qui traverse la localité doit après son accouchement ramener son enfant chez le Ful-Naaba pour accomplir des sacrifices.” Aussi, toute femme qui durant sa période de menstrues traverse le village et tombe enceinte avant ses menstrues suivantes est astreinte au rituel sacrificiel. “l’ enfant ne marchera jamais. Il aura les membres flegmes et rampera comme un serpent tant que les parents ne viennent pas effectuer les cérémonies prévues en cas de violation,” avertit le doyen des Bélem. Pour atténuer sa diatribe il confie que lorsque la mère revient avec son enfant, elle doit apporter une chèvre, une poule blanche, du dolo ( bière de mil) ou à défaut, de l’argent dont le montant concurrence le prix des offrandes énoncées. Alors le Ful-Naaba désigne un des Nionnionsés ( groupe ethniques autochtones vivant en pays mossi) et un membre de la famille Bélem pour effectuer le sacrement .
Si la paralysie de l’enfant est consécutive à la riposte du «Waafo» la poule immolée et jetée retombe sur son dos. Si par trois fois la poule ne tombe pas sur le dos, les prêtres sacrificateurs déduisent que les parents ont indubitablement menti.
“Il arrive que des gens, naturellement, dans le désarroi pour la paralysie de leur enfant imputent la responsabilité du mal au «Waafo» .Aussi s’empressent-ils de venir ici pour exorciser le maléfice.” raconte le patriarche. En revanche, si la poule tombe dans la position indiquée, l’enfant est soumis à une toilette rituelle avec l’eau provenant de la mare aux serpents sacrés et à laquelle d’autres produits sont mélangés. Ces gris-gris ne devraient être vus que des sacrificateurs. Après cette cérémonie “ nul doute ne subsiste que l’enfant recouvra l’usage de ses jambes dans la même semaine ” soutient l’aîné des Bélem. Au cas ou l’enfant serait une fille, il appartient au Ful-Naaba de lui désigner un mari quand elle sera majeure. Mais si c’est un garçon, le Ful-Naaba proposera à la première fille de ce dernier son futur époux si d’aventure la proposition rencontre son assentiment. Mais de nos jours ,avec la modernité et le droit positif qui codifient la vie des citoyens, cette règle n’est plus de mise. “Il est demandé simplement aux maris de ces filles de venir se présenter à la famille Bélem, porte drapeau des us et coutumes des wissi ” indique le responsable du culte.
En outre, le «Waafo», étant considéré comme l’esprit des Bélem, il est formellement interdit de tuer un boa dans cette localité. Pour cette proscription aucune sanction n’est prévue pour les contrevenants. Mais des malheurs successifs frapperont les personnes qui se rendraient coupables d’une telle forfaiture à en croire les sages de la localité.

Pour pérenniser la sauvegarde de ces bêtes, l’étranger est généralement informé de la sacralité du serpent. Mieux, on lui explique la visite probable du serpent. Il ne fait que de la courtoisie.
Quand un étranger est coupable de meurtre
Une des loges principales du serpent sacré de Séguénéga.

d’un serpent, un malheur s’abattra sur lui et sa famille même si sa culpabilité n’est pas établie .Le cadavre de l’animal est enterré dignement. “ Il y a à peine 15 ans de cela, des militaires ne croyant pas à la puissance du «Waafo», payèrent cher de leur témérité et de leur entêtement après avoir ouvert le feu sur un boa sacré ” soutiennent les avisés de la force du «Waafo».
Une des particularités du «Waafo» de Séguénéga est qu’il a, à l’instar des humains son totem : le cheval. Quel que soit votre rang social , il vous est interdit d’enfourcher un cheval pour aller chez le Ful-Naaba. Même si par méconnaissance des prescriptions ou par mégarde, il vous arrivait d’enfreindre aux interdits, vous êtes tenus de remettre au chef une poule pour réparer votre faute. Mais malgré cet acte, symbole de vos excuses ,votre monture meurt une semaine après.
En guise d’exemple, on raconte que le chef de Goubré, gros éleveur de chevaux qui vivait dans une concession jouxtant celle du Ful-Naaba fut contraint de déloger pour aller habiter à 3 Kilomètres plus loin afin d’éviter les rixes entre lui et son voisin.
Chaque année, une fête coutumière est organisée en l’honneur du «Waafo». Moment d’intense communion entre les filles et fils de la localité ; elle est l’expression de leur vénération et leur attachement à ce riche patrimoine que leur ont légué les ancêtres. Son pouvoir mythique relève, pourrait on dire, de la croyance. Mais force est de reconnaître que le «Waafo» est plus qu’un mythe à séguénéga : il est le témoignage de la vitalité de nos traditions et de la plasticité de nos cultures du moment qu’il accepte les éléments fécondants que charrie la modernité.
Si le symbole du serpent est presqu’universalisable en dépit du fait que les cultures (chrétiennes, hindoue, chamanistes, musulmanes, orientales et négro-africaines..) ne lui donnent pas les mêmes significations, reste que l’Etat burkinabè pourrait contribuer à faire de ce biotope un site touristique dont les retombées économiques participeront à la lutte contre la pauvreté dans la commune rurale de Séguénéga.



04/02/2008
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 1628 autres membres