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Emeutes contre la vie chère /Qui veut déstabiliser Tertius Zongo ?

 Qui veut déstabiliser Tertius Zongo ?

lundi 3 mars 2008.
 
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Tertius Zongo

Les émeutes contre la vie chère continuent d’occuper le devant de l’actualité. Chacun y va de son petit commentaire et de ses analyses sur le comment et le pourquoi de cette brusque montée du mercure du thermomètre social. La hausse des prix n’explique pas tout. Les premiers slogans des manifestants, à Bobo-Dioulasso « Tertius Zongo démissionne » indiquent une volonté de déstabilisation politique venue de là où on l’attendait le moins.

Bien que ces émeutes soient comparables à un feu de paille, aussitôt allumé, aussitôt éteint, elles ont laissé des stigmates profonds surtout dans une ville de Bobo-Dioulasso qui panse encore ses plaies. Feux tricolores détruits, boutiques éventrées, services publics et privés vandalisés. Saura-t-on un jour combien tout cela a coûté à l’Etat, aux communes et aux particuliers ? En attendant le bilan chiffré, place aux leçons.

La leçon des paradoxes

Malgré l’absence d’une structure formelle, reconnue ou non qui se soit portée organisatrice des marches de protestation, tout laisse croire qu’elles n’ont pas été spontanées. Une semaine auparavant, des tracts ont circulé sous les manteaux appelant à une protestation contre la vie chère. A l’évidence une main invisible a poussé les jeunes commerçants dans la rue. Pourquoi ?

C’est la question que tout le monde se pose pour la simple raison que tous les observateurs avertis sont conscients que la réalité de la vie chère a été un prétexte d’instrumentalisation des protestataires. Une instrumentalisation bien orchestrée avec un scénario de déclenchement des marches à la chaîne : Bobo-Dioulasso, Ouahigouya, le premier jour. Banfora et d’autres localités devraient suivre dans un deuxième, troisième et quatrième jour. L’objectif non avoué, mais qui transparaît de ce dispositif de foyers de tension généralisée dans le pays, c’est de désavouer la politique du gouvernement Tertius Zongo. Point nœudal de cette mise en indexe, la politique fiscale et les dernières mesures de rigueur en matière de contrôle des marchandises à l’importation, de la collecte des taxes et impôts, de la lutte contre la corruption. En somme, le premier paradoxe instructif sur ces « émeutes de la vie chère » c’est leur apparente spontanéité qui n’en ait pas une. Elles résultent d’une connexion de type mafieux entre des milieux d’affaires qui ont des prébendes à perdre si les mesures actuelles contre la fraude et la corruption sont appliquées avec rigueur.

Deuxième paradoxe : Il crève les yeux de tout le monde, y compris du citoyen lambda. En effet, la vie chère, tout le monde en pâtit mais les salariés et les sans-emploi au premier chef. D’où vient alors que ce soient les commerçants qui passent à l’offensive de la rue avec des slogans du genre, « Tertius Zongo démissionne » ? Mieux ou pire, c’est selon, les manifestants ont poussé l’outrecuidance dans leur furie destructrice, à renverser des statuts de Blaise Compaoré et de Mouammar Kadhafi à Bobo-Dioulasso. Quel symbolisme peut-on décrypter dans cet acte ? Une défiance politique assurément, qui au-delà du Premier ministre s’attaque au président du Faso en personne. Il ne faut pas alors être grand clerc pour comprendre que des politiques ont agi à travers les commerçants protestataires. Et quand les milieux d’affaires font la jonction avec les milieux politiques, il faut craindre la naissance de monstres à l’image des pieuvres italiennes ou russes. Si oui, l’Exécutif ne devrait pas prendre les événements de ces derniers jours à la légère.

La démocratie et l’économie burkinabè sont menacées par une gangrène qui a fait la preuve de sa nocivité ailleurs. Beaucoup de Burkinabè dont nous-mêmes étions restés incrédules devant les thèses d’un noyautage de l’économie par des bonzes du pouvoir qui usent de prête-noms pour contrôler des pans entiers de l’économie nationale. Les secteurs de l’import-export ne sont pas en reste de ces connexions nébuleuses. C’est dans le Nord du pays que cette nébuleuse se dissimule le plus difficilement. Rien de surprenant alors que les commerçants les plus fortunés viennent de là ni qu’un certain poids lourd du sérail se soit construit un empire financier à faire pâlir de jalousie Kanazoé lui-même.

Au demeurant, dans les gargottes, les langues se délient après les casses ciblées à Bobo-Dioulasso. Autour du marché central de cette ville, les boutiques de certains commerçants ont été miraculeusement épargnées et les mauvaises langues ont vite fait de faire la relation entre l’origine régionale des casseurs et celle des propriétaires des boutiques épargnées. Un constat qui renforce la thèse en vogue actuellement selon laquelle les mesures de rigueur fiscale du gouvernement Tertius Zongo touchent de plein fouet les intérêts d’un empire financier menacé d’effondrement. Vu sous cet angle, le contraste de commerçants qui marchent en lieu et place des consommateurs pour dénoncer la vie chère n’en est plus un. Au contraire, il y a une certaine logique. Celle de l’instrumentalisation des protestataires à des fins de déstabilisation du gouvernement actuel.

Que peut faire le gouvernement ?

En vérité, le gouvernement de Tertius Zongo est constitué d’une brochette de personnalités dont les compétences ne peuvent pas être mises en doute. Il est donc suffisamment outillé et averti pour prendre les mesures idoines qui s’imposent. Encore lui faudra-t-il mettre la forme et la méthode qu’il faut pour convaincre les Burkinabè qu’il n’est pas aveugle, sourd et muet devant les évidences. Première évidence : il ne faut pas nier la vie chère. L’avoir reconnue de la part du gouvernement est une bonne chose et il faut communiquer davantage pour que les mesures prises par l’Etat pour juguler l’inflation passent dans l’opinion : baisse des frais perçus par le Laboratoire national de santé publique, diminution des coûts de service de l’inspection générale des affaires économiques, diffèrement de 3 mois pour le paiement de la pénalité de 20 % sur la valeur du produit à l’origine (FOB) s’il n’a pas été inspecté au départ, exonération des taxes douanières pour les produits de premières nécessité...

Deuxième évidence : il faut briser ces monopoles qui ne disent pas leur nom. Certains commerçants grossistes ont comme un quasi-monopole sur l’importation de certains produits de première nécessité : riz, lait, huile. Il faut briser sans état d’âme ce monopole qui fausse le jeu de la concurrence mais surtout permet de créer des pénuries artificielles. Il nous revient en effet que des tonnes de marchandises destinées à des commerçants burkinabè sommeillent dans des ports. Leurs propriétaires attendent que la contestation produise ses effets, que le gouvernement lève le pied sur la vigilance anti-fraude avant que ces produits n’arrivent au Burkina. Comment briser ces monopoles spéculatifs ? En accordant par exemple des agréments d’importation à tous les commerçants qui le demandent. Histoire de diversifier les sources d’approvisionnement et de stimuler une vraie concurrence saine et loyale. Cette diversification des commerçants importateurs va jouer inévitablement contre les pénuries artificielles et les spéculations mercantilistes.

Troisième évidence : les Burkinabè ont besoin de signaux plus forts de l’Exécutif sur ses intentions de renforcement de la bonne gouvernance. En plus de la lutte contre la fraude, la corruption et pour la transparence dans la gestion du budget de l’Etat, les citoyens se sont réjouis du contrôle de plus en plus strict de l’utilisation des véhicules de l’Etat. Ces efforts doivent être poursuivis avec à la clé une communication appropriée pour leur donner plus de visibilité. Et pendant qu’on y est, pourquoi ne pas envisager un remaniement ministériel, question de redimensionner certains ministères, diminuer le train de vie de l’Etat, mais surtout ouvrir l’Exécutif à des personnalités neuves avec des initiatives nouvelles à la tête de certains départements ministériels qui passent pour être des chasses-gardées d’inamovibles baobabs. Blaise Compaoré et Tertius Zongo ne devraient pas avoir peur des super ministres aux bras super longs qui favorisent les collusions mafieuses entre le politique et les milieux d’affaires.

Les pièges à éviter

La rue, la casse, la violence pour se faire entendre n’expriment pas forcément un raz-le-bol. Ce sont plutôt des symptômes d’une faiblesse argumentaire dans la persuasion de l’opinion publique ou de l’adversaire politique. Ainsi dans les cas actuels, on cherche en vain en quoi des boutiques saccagées, des mairies pillées peuvent résoudre le problème de l’inflation. Par contre, des émeutes à répétition bien orchestrées dans plusieurs provinces du pays comme cela semble être le scénario à l’autruche qu’on nous a servi à Bobo, Banfora, Ouahigouya et Ouagadougou, cela peut déstabiliser un gouvernement, nuire à la sécurité des personnes et des biens, détruire la quiétude sociale indispensable à la croissance économique. Nous qui pensions que le Burkina a été fortement instruit par la crise de 1998-2001 pour ne plus sombrer dans les mêmes turpitudes, nous voilà circonspects. La circonspection vire à l’incrédulité quand les bruits de la ville qui nous parviennent tendent à dire que le Premier ministre par sa politique fiscale vise la ruine ciblée des commerçants d’une région du Burkina. Suivez notre regard. Là c’est le comble et le pire des pièges que le pays des Hommes intègres doit éviter. Le Burkina du Nord au Sud, d’Est en Ouest est un patrimoine commun. C’est ensemble que nous le développerons. C’est pourquoi, aussi persistante que soit cette rumeur de la chasse aux commerçants nordistes, il faut la ranger dans la série des épouvantails agités par des politiques en déclin qui craignent pour leur empire financier surfait. Il faut donc éviter le piège de la caricature, des épouvantails et des peurs individuels que l’on voudrait tribaliser. Tout le Burkina y gagne.

Djibril TOURE

L’Hebdo



04/03/2008
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