Sculptures capillaires africaines
Les nattes et les tresses sont des techniques de coiffage essentiellement issues des cultures africaines. De l’Antiquité à nos jours, l’art de la coiffure en Afrique noire s’est transmis de génération en génération, généralement de mère en fille.
par Tshibwabwa Mua Bay
Les nattes ou tresses sont une technique de coiffage qui consiste à entrelacer des mèches de plus ou moins grosse épaisseur. Il fut un temps où les femmes africaines, loin de détester leurs cheveux crépus, faisaient de la coiffure un exercice de style et très souvent une œuvre d’art. A l’état naturel les cheveux de type africain présentent la particularité de pouvoir être "sculptés" ou travaillés de manière très élaborée car ils conservent facilement la forme donnée. La texture laineuse et dense de nos cheveux nous inspiraient, nous poussaient à nous surpasser dans la créativité et la sophistication esthétique. Mais aujourd’hui, il est bien passé ce temps où chaque femme africaine, parée de ses tresses aux lignes compliquées et ornées de perles, ressemblait à une reine.
Le cheveu a toujours constitué un élément central dans l’esthétique africaine, il est considéré comme une parure en soi, au même titre qu’un bijou ou une étoffe. Signe de reconnaissance ethnique, marqueur de différence entre les tranches d’âge, entre les jeunes filles et les femmes, la coiffure est un élément aussi artistique qu’identitaire. Au Mali par exemple, la coiffure a d’abord été un élément d’identification culturelle et sociale. Dans certaines communautés comme chez les peuhls, c’était aux esclaves et aux gens de castes uniquement que revenait la tâche de tresser les femmes nobles. Dans des contrées comme Khaso, Macina, Bwatu, chaque coiffure avait une signification. Le modèle de coiffure permettait d’identifier une nouvelle mariée, une veuve, une femme libre de tout engagement (divorcée), le statut social d’une femme et par extension celui de son mari. Mais l’amour, la déception, le déshonneur, le deuil s’exprimaient également par la coiffure.
Le coiffage, loin d’être simplement fonctionnel, a toujours constitué une véritable pratique sociale, rituelle, cérémonielle, initiatique ou tout simplement conviviale, à laquelle on peut consacrer des heures voir des jours. Les coiffeuses traditionnelles avaient une place fondamentale dans la cohésion familiale, communautaire et sociale parce qu’en tant que confidentes privilégiées des femmes, souvent des reines et des princesses, elles savaient tout sur tout le monde, sur les origines et l’histoire des lignées et des parentés. De manière générale, l’art de la coiffure en Afrique noire était transmis de génération en génération et de mère à fille.
Les tresses et nattes africaines sont parfois le fruit d’un véritable travail d’orfèvre, faisant appel à une géométrie aux lignes pures et aux arabesques recherchées. Malgré sa fantaisie apparente, la coiffure africaine est très codée. Dans certaines communautés, où le haut du crâne représente le siège de l’âme, on observe encore de nombreuses coiffes correspondant à des étapes de la vie : la naissance, l’initiation, le mariage et le deuil.
A une époque pas moins éloignée, tresses et nattes étaient portées à la fois par les hommes et par les femmes. Les hommes faisaient même preuve davantage de créativité et de sophistication dans ce domaine, comme dans l’ensemble des pratiques esthétiques en général. Les hommes Bororo et Massaï, que l’on présentent aujourd’hui comme des curiosités "efféminées" sont sont en réalité le vestige de pratiques esthétiques masculines, généralisées sur le continent africain, avant la période coloniale. L’embellissement ou la coquetterie n’étaient pas alors des questions de genre et la beauté l’apanage des femmes. Mais le christianisme et sa rigueur patriarcale sont passés par là, stigmatisant chez l’homme tout artifice ou apprêt physique.
Les nattes ou tresses se font couchées ou lâchées. L’éventail est large et la créativité sans limite. Il existe autant de styles de tresses que de tresseuses. Ça va des micros tresses aux tresses moyennes dites « rastas », avec ou sans rajouts, en passant par les très grosses tresses dites « patras ». On trouve également en Afrique un jeu de nattes et de turbans perlés ou un montage savant de peignes, de foulards, de bijoux ou d’autres objets décoratifs. Il existe aussi une technique d’enroulage de mèche au fil, spécifique aux cultures africaines.
Chaque pays et ethnie de l’Afrique sub-saharienne ont su créer leur propre style avec des matériaux aussi divers que l’argile, le karité, la laine, le raphia, le fil d’or, les coquillages et les perles. Les cheveux ont toujours fait l’objet de nombreux soins. Ils peuvent être enduits de graisse animale mêlée d’une teinture ou d’une pâte végétale (comme chez les Masaï) qui a pour but principal, indépendamment de son côté "esthétique", de protéger la tête des parasites (mouches, moustiques, tiques). Ces coiffures stylisées bien que diverses et variées obéissent souvent à des règles de base communes. Elles se réalisent d’abord au moyen d’un large peigne de bois sculpté, à grandes et épaisses dents, pour "ouvrir" la chevelure en une masse souple. Celle-ci est alors divisée en parties régulières qui font chacune l’objet d’un travail particulier. C’est vraisemblablement pour faciliter les soins de leurs cheveux que les femmes africaines ont eu recours à la méthode du tressage depuis la nuit des temps. Il y a le tressage longitudinal, vertical ou latéral, la constitution de petites boules érigées en soleil sur la tête et dont le bas est enroulée de fils à coudre noir tandis que le haut forme une boule régulière.
A partir des années 70, les techniques de tressage se sont diffusées au sein de la diaspora africaine, mais c’est durant les années 90 qu’elles ont connu une véritable popularité avec des chanteuses comme Brandy. Aujourd’hui, les salons de coiffures afro-américains spécialisés dans les Braids pullulent aux Etats-Unis, et les nattes africaines y ont gardé tout leur prestige. Prestige dû à la patience et à l’habileté qu’elles demandent. Et en matière d’habileté bien des coiffeuses afro-américaines ou caribéennes peuvent rivaliser d’inventivité avec les tresseuses africaines traditionnelles.
Mais aujourd’hui, cet art du coiffage se perd au profit des défrisants et du fer à lisser. Mais des photographes comme le nigérian Okhai Ojeikere ont pris le soin d’immortaliser cette pratique esthétique ancestrale. Et tant que des images existeront pour témoigner de notre patrimoine culturel, il restera accessible. Il n’est pas question que copier ou de reproduire à l’identique les coiffures de nos grands-mères, qui trouvaient déjà bien "démodées" celles de leurs propres grands-mères. A chaque génération son inspiration.
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