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Ahmed Salif CISSE, président de l'Association des maîtres coraniques de Mopti du Mali : « Les maîtres coraniques ne sont pas les seuls responsables » 

 

Fils de burkinabè immigré au Mali dans les années 57, Ahmed Salif CISSE ne s'en cache pas de ses origines burkinabè.

C'est avec fierté d'ailleurs qu'il parle de son pays le Burkina Faso. Nous l'avons rencontré pour parler de la situation des talibés burkinabè vivant au Mali. En tant que président de l'Association des maîtres coraniques de Mopti, il nous livre ses sentiments sur la migration des enfants talibés et du travail qui est fait pour réduire le phénomène.

 

 

Pouvez-vous nous parler de votre association ?

Ahmed Salif CISSE (ASC) : Je suis avant tout un « produit » de l'école coranique. J'ai débuté dans une école coranique, puis par la suite j'ai poursuivi mes études dans une medersa.

Au niveau du medersa, après le BAC, j'ai fait des études supérieures. Aujourd'hui, je suis le directeur des études d'un lycée medersa à Mopti et en même temps le président de l'Association des maîtres coranique de la ville.

Notre association existe depuis 6 mois maintenant et malgré ces 6 mois d'existence, nous avons déjà pas mal d'activités pour la promotion de l'école coranique, mais surtout pour une organisation de notre milieu. Notre ambition, c'est de donner une autre vision de l'école coranique qui est perçue aujourd'hui comme un sanctuaire de traite des enfants. C'est vrai qu'il y a de l'abus chez certains maîtres coraniques. Les élèves viennent pour apprendre le Coran et on les utilise dans la mendicité ou dans d'autres formes d'exploitations.

 

Mopti compte combien d'écoles coraniques et combien d'élèves Burkinabè ?

A.SC : Je ne peux pas être précis sur cette question, mais ce que je peux dire, c'est que le nombre d'élèves avoisine les 300. Pour ce qui est des écoles, nous avons de nos jours plus de 80 écoles recensées. Je dois dire aussi que dans ces 80 écoles recensées, il y a des écoles nomades. Je m'explique. Ce sont des écoles où les maîtres migrent avec leurs élèves dans d'autres localités. A Mopti, nous avons remarqué que la majorité des écoles recensées étaient justement des écoles mobiles. Pour ce qui me concerne, j'ai deux écoles, une medersa et une école coranique. Nous avons organisé nos deux écoles de sorte que chaque élève qui vient chez nous fasse son choix. Actuellement, nous avons dans toutes nos écoles confondues, 125 élèves burkinabè.

 

Qu'est-ce que vos élèves ont comme activités en plus des enseignements que vous leur donnez ?

A.S.C : Je vous remercie beaucoup pour la question car elle va me permettre de pouvoir donner des informations précises sur les activités de nos élèves. Pour les grands qui sont dans nos écoles en plus de l'enseignement qu'ils reçoivent, pour gagner leur vie, ils font des menus travaux comme, la traduction de certains documents en arabe, certains sont des aides maçons, d'autres des mécaniciens, d'autres préfèrent aller dans les zones rizicoles pour se faire de l'argent. Ceux qui font ces travaux sont âgés d'au moins 18 ans. Pour ce qui est des plus petits (5 à 12 voire, 13 ans), eux font des travaux de nettoyage, pour certaines structures de la place qui nous sollicitent. Dans nos écoles tout ce qui est travaux durs qui dépassent l'âge des enfants sont proscrits.

 

Voulez-vous dire que vos élèves ne mendient pas pour assurer leur subsistance ?

A.S.C : Si je dis oui, j'aurai menti. Chez nous, je le confesse, il y en n'a qui mendient. Mais je dois préciser que ceux qui mendient sont assez grands (10 à 15 ans). Les tout petits (5 à 8 ans) eux ne mendient pas ils sont sous notre responsabilité. Pour me résumer, les plus grands sont à leur propre charge. Libre à eux de travailler et de se prendre en charge. Les plus petits eux sont à notre charge, notamment sur mon père El hadj Salif CISSE qui est le premier responsable des écoles.

 

Que pensez-vous du forum auquel vous avez participé pendant 4 jours à Ségou ?

A.S.C : Ce forum est le bienvenu pour nous qui faisons partie, je peux dire de la nouvelle génération des maîtres coraniques. Je suis convaincu que si nos devanciers avaient eu les opportunités et la sensibilisation que nous avons aujourd'hui, les écoles coraniques n'auraient pas cette image qu'elles ont aujourd'hui. Je suis satisfait de tout ce qui se fait aujourd'hui pour assainir et organiser l'enseignement coranique. Mon souhait, est que le gouvernement et l'ensemble des partenaires nous soutiennent par ces genres de rencontres pour que nous puissions aller de l'avant. Ces genres de forum sont des lieux de réflexions qui nous permettent de nous enrichir et de trouver des pistes de solutions qui pourront nous aider à mieux nous occuper de nos élèves. Je pense que ces genres de rencontres sont à élargir aux leaders religieux.

 

Vous vous êtes sensibilisé par rapport à la traite et à l'exploitation des enfants. Pensez-vous qu'il peut être de même pour les maîtres coraniques qui vivent de l'exploitation des enfants par la mendicité et autre ?

A.S.C : Tout changement est difficile surtout pour les mentalités. Je suis optimiste quant au changement de mentalité des maîtres coraniques, cela ne va pas se faire du jour au lendemain, mais il y a de l'espoir. Si nous avons créé cette association des maîtres coraniques, c'est pour que ce soit nous-mêmes qui prenions les devants de la lutte pour un mieux-être des enfants. Je demeure convaincu que nous ne pouvons pas convaincre tout le monde pour cette nouvelle dynamique, mais je suis sûr que les réticents ne seront pas nombreux et ils finiront par nous rallier tôt où tard. Je crois qu'il ne faut pas jeter la responsabilité aux seuls maîtres coraniques par ce qu'à mon avis ; les parents d'élèves ont aussi leur part de responsabilités. Que vous soyez dans la même localité ou pas, vous avez un droit de regard sur le travail de votre enfant. Si maintenant vous le confiez comme un « bagage » au maître coranique sans suite, comprenez que si ce dernier a des difficultés, il n'a pas d'autres solutions que d'exploiter les enfants.

Je propose que les parents s'intéressent un peu plus à l'éducation de leurs enfants qu'ils confient aux maîtres coraniques.

 

Que pouvez-vous dire à l'endroit de vos collègues maîtres coraniques burkinabè qui n'ont pas assisté au forum, mais qui sont tous aussi concernés que ceux qui sont au Mali ?

A.S.C : C'est pour la quête du savoir que des maîtres coraniques quittent le Burkina pour venir au Mali. Cela n'a pas commencé aujourd'hui et cela ne prendra pas fin maintenant. Le chemin de la quête du savoir est semé d'embûches, mais ces embûches ne doivent pas être le fait de l'homme, mais de la difficile appropriation de ce savoir-là. Alors, que l'on soit au Mali ou au Burkina, c'est pareil. Seulement, ce que j'ai à dire, c'est à l'endroit des parents burkinabè qui confient leurs enfants. Suivez de très près le travail à l'école, la vie et les capacités de votre enfant chez le maître coranique. C'est très important pour l'enfant, c'est très important pour le maître. N'abandonnez pas l'enfant comme une ordure car cela n'est pas humain. Pour mes collègues. Je les exhorte à toujours être en règle vis-à-vis des autorités et de la loi, avoir les documents qui sont nécessaires pour migrer avec les enfants au Mali.

On ne peut pas les empêcher d'aller à la quête du savoir, mais la meilleure façon de réussir cette quête du savoir, c'est d'être en règle vis-à-vis de la loi.

 

Une des recommandations du forum est qu'à terme, on dote de statut toutes les écoles coraniques et les medersa. Votre avis sur la question ?

A.S.C : C'est une très bonne chose et je dois dire que c'est une expérience que nous avons déjà commencé à Mopti. Ce n'est pas encore parfait, mais je pense qu'avec l'intervention de l'Etat et des partenaires, nous pourrons arriver à quelque chose de plus précis. Aujourd'hui, il nous faut des écoles coraniques améliorées, et nous avons commencé cela avec une ONG ENDA Tiers monde. Depuis 2003, avec l'aide de cette ONG nous avons déjà réalisé trois centres qui sont à Mopti, à Sawaré et à Madinakora. Je suis moi-même moniteur dans deux de ces centres.



11/04/2007
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