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Enfants victimes de viol au Burkina/Souffrances cachées, vies affectées

 
Souffrances cachées, vies affectées

Des violences faites aux enfants, il en existe de toutes sortes. La plus pernicieuse, mais souvent sournoise, la pire de toutes, c’est le viol. Au Burkina Faso, comme partout ailleurs dans le monde, chaque jour, des enfants en sont victimes, les actes de pédophilie tendant à se banaliser. Des actes qui ont de profondes répercussions à court et long terme sur la santé physique, le développement psychologique, le bien-être tout court de l’enfant victime. Pendant un mois, nous nous sommes plongés dans un univers fait de douleurs, de peurs, de pleurs, de souffrances et de reconstruction. Nous avons tenté de comprendre un phénomène, de voir ses tenants et aboutissants mais surtout d’appréhender ce qui est fait pour corriger ses méfaits et pourquoi pas l’empêcher de continuer de sévir.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes
 Violences sexuelles selon la perception des enfants

* Viol 19,9%
* Attouchement sexuel 15, 4%
* Attentat à la pudeur 16,3%
* Prostitution des mineurs 14%
* Participation à des activités pornographique 3%
* Tentative de viol 21,7%
* Harcèlement sexuel 48,5%
* Conversation à caractère sexuel 43, 7%
* Fellation 1,3%
* Voyeurisme 0,9%
* Racolage 4,3%
Violences sexuelles perception enfants/adultes
* Viol 58,8%
* Attouchement sexuel 24,2%
* Attentat à la pudeur 27,9%
* Prostitution des mineurs 38,8%
* Participation à des activités pornographiques 14,1%
* Tentative de viol 39,5%
* Harcèlement sexuel 44,6%
* Conversation à caractère sexuel 27,8%
* Fellation 5,8%
* Voyeurisme 5,8%
* Racolage 13,8%

Causes des violences sexuelles perception enfants/adultes
Enfants
* Perversion 58,7%
* Promiscuité 33%
* Films pornos 24,4%
* Troubles psychiques 10,6%
Adultes
* Perversion 83,2%
* Promiscuité 43%
* Films pornos 34,7%
* Troubles psychiques 24,1%

Auteurs des violences sexuelles perception enfants /adultes
Enfants
* Parents 11,8%
* Les enseignants 24,5%
* Les tuteurs 18,9%
* Les pairs 85,7%
Adultes
* Parents 19,2%
* Les enseignants 20,1%
* Les tuteurs 22,4%
* Les pairs 38,2
Source : UNICEF

Quoiqu’aux conséquences dramatiques, sournoise, la violence sexuelle faite aux mômes se nourrit du silence des victimes. Un silence radio qui n’est pas pour faciliter la lutte contre un fléau qui mine la société. Sa force, il agit partout. Il peut surprendre l’enfant dans chaque coin de la rue, dans son école. Pire, il peut-être tapi près du môme, dans sa propre demeure, dans son propre lit. C’est un mal sans visage. Il peut porter celui du voisin aujourd’hui, demain, c’est celui du frère, du cousin, du père, de l’oncle, ou du parfait inconnu rencontré au mauvais moment et au mauvais endroit. Tel donc un feu de brousse, il consume les victimes. Il les dévaste aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur être. «Si tu n’as pas été violée, tu ne peux pas comprendre la douleur que je vis, tu ne peux pas imaginer l’horreur que j’ai vécue ce soir-là». Cette phrase est de A S, jeune fille de 19 ans violée, le 13 mai 2005, quand elle en avait 16. Un jour du mois d’août 2005 également, il est 21h, il pleut sur la ville de Sya. La plupart des Bobolais sont à l’abri dans leur demeure. C’est en ce moment que six jeunes gens, âgés de 18 à 25 ans, ont choisi de mettre à exécution un dessein macabre sur la personne de H une élève en classe de 5ème. Leur plan, faire sortir la jeune fille de 14 ans de la cour parentale par l’intermédiaire de sa copine. Sa tante, sa tutrice, était au chevet de sa sœur malade à l’hôpital Sanou Souro. «Quand elle est sortie, un des jeunes l’a menacée avec un couteau et ils l’ont traînée dans une bâtisse en abandon. A eux six, ils sont passés tour à tour sur elle. C’est toute en sang qu’elle a été amenée à l’hôpital», nous a confié la tante de H qui, malgré le temps, n’a pas oublié une seule image de sa nièce quand celle-ci a été amenée aux urgences de l’hôpital. H venait d’être, ce soir-là, violée. Ceux qui ont commis cet acte sont des voisins de quartier. Ils ont été condamnés par la justice. Aujourd’hui, ils jouissent d’une liberté provisoire. Huit mois avant, c’était une petite de 12 ans qui avait vécu le même calvaire. Alors qu’elle aidait sa mère dans un foyer aux abords du marché de Bobo à vendre sa bouillie, elle eut envie de se soulager. Quand elle s’est rendue dans les toilettes du foyer, elle était loin d’imaginer que son innocence allait être bafouée. Elle y croisa un homme qui pourrait être son grand-père. Il avait 50 ans. Il abusa d’elle. Ces exemples ne sont qu’une illustration de la longue liste d’enfants qui vivent au quotidien une douleur sans nom. Elles, comme tous les autres garderont, à vie, les stigmates de cette violence. Des violences qui sont devenues quasi quotidiennes et qui inquiètent les services sociaux. «Les violences sexuelles faites aux enfants ces dernières années dans la ville de Sya nous inquiètent. Ça nous inquiète parce que la plupart du temps les agresseurs ne sont pas retrouvés. Si on les retrouve, l’action judiciaire est difficile à enclencher du fait des pesanteurs socioculturelles, des interventions. A cela, il faut ajouter le fait que les victimes n’ont pas aussi le réflexe de s’adresser aux services compétents en cas de survenus du viol. Si fait que c’est souvent des jours, voire des mois après que nous sommes saisis et en ce moment il est difficile d’établir les preuves. Le pire, c’est que les violences frappent dans la plupart des cas, des enfants issus de familles démunies. Ce qui complique davantage les choses (prise en charge des frais médicaux, et de justice, etc.) souligne M. Magloire PALM de la direction provinciale de l’Action sociale.

La guérison physique, le début du processus
L’enfant victime de violences sexuelles vit deux traumatismes. Il y a d’abord les traumatismes physiques causés par la violence de l’acte sexuel sur les organes génitaux de la victime, et les traumatismes psychologiques, qui sont des blessures morales et mentales. « Sur le plan physique, l’enfant étant à ses premiers âges de développement physique, le traumatisme physique sera encore plus important.» Affirme le Dr Ernest DA. Pour le spécialiste, «un enfant qui a été violé et qui dans l’heure qui suit, est amené dans un centre de santé, donne beaucoup plus de chance au médecin d’avoir, après les examens, des cellules en terme de spermatozoïdes, qu’un enfant qui est victime de viol et que l’on examinera une semaine après. C’est pourquoi, nous recommandons l’examen à chaud. L’examen à chaud est fondamental parce qu’il permet sur le plan biologique, d’avoir des éléments d’informations à même de confondre éventuellement l’agresseur s’il est appréhendé». Les enfants victimes de viol courent entre autres risques, les grossesses, les maladies sexuellement transmissibles, des infections comme le VIH, et des germes comme le gonocoque, la syphilis, etc. Il y a d’autres infections comme les infections urinaires fréquentes, des difficultés à marcher ou à s’asseoir, des déchirures, des démangeaisons, des éruptions, des tuméfactions ou des inflammations dans la région génitale/anale, des infections à levures fréquentes. Le viol peut se terminer également par une grossesse. A coup sûr il y aura des complications. Ainsi, en cas de grossesse, les spécialistes préconisent pour le bien de la môme, un avortement thérapeutique, ou une césarienne au cas où les parents refusent la première option. Mais le pire est ailleurs. «Le cas le plus grave que j’ai pu rencontrer, soutient le Dr Ernest DA, c’est celui d’une fille de 14 ans qui a été violée. Après, les différents examens ont révélé que la pauvre petite était infectée par le VIH. Le drame dans tout ça c’est qu’au niveau de la justice on a refusé, vide juridique oblige, que l’agresseur subisse un test VIH pour qu’on sache si l’infection de la petite vient de lui ou pas ! On nous a dit tout simplement qu’aucun texte ne le prévoit. C’est traumatisant, parce que les blessures physiques se soignent assez rapidement. Mais celles psychologiques doublées de cette infection à VIH, c’est plus compliqué car c’est la chronicité et cette fillette est condamnée. Mon souhait est qu’on parvienne à prévoir des textes, pour condamner de façon sévère ceux qui abusent des enfants et surtout voir le problème du vide juridique qui n’arrange pas du tout les victimes en cas d’infection.» Pour affirmer qu’il y a eu viol, il faut donc s’intéresser à l’enfant, à la famille ou les sonder pour avoir des informations. Puis viennent par la suite les examens. Mais tout cela n’est que le début du processus de guérison et de la reconstruction. Car, les violences sexuelles sont rarement dévoilées au moment de leur commission. Selon les spécialistes, généralement, la victime ne révèle les faits que plusieurs mois, voire plusieurs années plus tard. Souvent même, le silence n’est brisé qu’à l’adolescence ou à l’âge adulte. Et dans près de 60% des cas, les enfants manifestent leur souffrance par le biais de signes somatiques, comportementaux et psychologiques qui peuvent s’associer ou se succéder dans le temps.

En parler à quelqu’un, le début du soulagement
Si les blessures physiques se soignent facilement, tel n’est pas le cas de celles morales et psychologiques. Le traumatisme moral et psychologique peut avoir des «effets dormants» et surgir soudainement, notamment à la faveur d’événements personnels ou familiaux (premiers émois amoureux, premières relations sexuelles, mariage, naissance, reportage télévisé, rêve, querelle et séparation familiale, etc.). «L’enfant victime de violences sexuelles développe ce qu’on appelle les traumatismes silencieux comme la dévalorisation de l’image de soi. Son corps étant souillé, il se dissocie de celui-ci et le chosifie, ce qui se traduit par un manque de confiance en soi, entraînant des maux comme l’énurésie, l’anorexie, la boulimie, etc. Il est sujet à des sentiments de culpabilité très fort avec des douleurs morales, des crises d’angoisse, etc.». Affirme le psychologue Adama SANFO. La victime dénonce plus facilement la maltraitance sexuelle si une autre victime signale une violence similaire commise par le même auteur, ou si l’agresseur est étranger au cercle familial, ou si on lui pose des questions directes au sujet d’agressions possibles. Pour que le traumatisme soit décelé donc, il faut que l’entourage de l’enfant le suspecte et puisse en reconnaître les manifestations. «Ce qu’il faut surtout c’est que la victime puisse franchir la difficile étape qui est celle d’en parler. La plupart des cas qui nous arrivent sont l’action des parents, ou des services de santé.» Soutient M. Magloire PALM. Ce qui n’est pas une mince affaire. «Il est plus facile de soigner les blessures physiques que celles psychologiques. C’est un long processus qui nécessite une ouverture de la victime. Et ce n’est pas évident». Affirme Adama CONSIMBO, psychologue à l’Association Solidarité Jeunes (ASJ), structure qui appuie l’Action sociale dans la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants. La crédibilité des déclarations de l’enfant sur les violences est parfois mise en doute par la famille et même par certains professionnels. Pourtant, selon les spécialistes, les allégations mensongères sont extrêmement rares. «Certains enfants rétractent même des révélations véridiques lorsqu’ils ne se sentent pas soutenus, écoutés ou compris. En tout état de cause, les enfants taisent, voire dénient, plus fréquemment une agression à caractère sexuel qu’ils n’avancent de fausses déclarations», dira M. CONSIMBO. Pour A D, violée en avril 2006 par 5 jeunes gens âgés de 18 à 24 ans à Bobo : «Pour avoir pu raconter ce qui m’était arrivée, à mes parents, puis à l’agent de l’action sociale, je me suis rendue compte que je n’étais pas seule et mieux, que je n’étais plus seule. J’ai été soutenue. J’ai été suivie sur le plan médical, sans que mes parents ne déboursent un centime. D’ailleurs, où allaient-ils trouver cet argent ?» Ce qui freine le dépistage précoce de ce mal ce sont les facteurs culturels, religieux, l’immaturité des victimes, l’intimidation psychologique des agresseurs, etc. Mais pour Salam, enseignant du primaire, «Ceux qui commettent des violences sexuelles sur des enfants ne savent pas le mal qu’ils font sur eux. Je pense que c’est parce que la justice ne sévit pas durement contre les agresseurs que le mal prend de l’ampleur. Aujourd’hui, vous rencontrez des gens qui parlent des enfants comme de vulgaires aliments. Certains les appellent des crudités, d’autres des «fraichenies», etc. Je pense que ce n’est pas bien».

Continuer à vivre malgré tout
Un adage mossi dit que «l’eau qui est versée ne peut être ramassée». Une fois le viol commis, plus jamais, la vie de la victime ne sera comme avant. Elle sera marquée à jamais, dans son corps et dans son âme. «Je souffre. Quand je marche, malgré le fait que ce soit un nombre très restreint de gens qui savent ce qui m’est arrivée, j’ai comme l’impression que tout le monde me regarde, que tout le monde sait. Je fais des cauchemars, j’ai peur quand la nuit tombe, sauf quand je suis avec quelqu’un de confiance. Aujourd’hui j’ai 19 ans, ma mère est morte sans savoir ce qui m’est arrivée. J’ai des difficultés pour sortir avec un garçon parce que dès qu’il parle de sexe, notre relation s’arrête là». Ces propos de N B violée un soir de mai 2005, traduit toute la difficulté qu’ont les victimes à revivre comme avant. H elle, malgré ce qu’elle a vécu, a poursuivi ses études et cette année, elle a décroché son BEPC. Certainement parce qu’elle a pu en parler à quelqu’un, parce qu’elle a eu du soutien, de sa famille d’abord, et d’autres personnes également. «C’est une fierté pour nous tous de savoir qu’H a eu son BEPC, parce que pendant l’année scolaire, ce n’était pas évident. Il y a eu des moments où elle a eu des crises graves à la limite de la folie, voire du suicide. Mais par la grâce de Dieu ça va», fait remarquer la tante d’H. Comme H, N, B etc., ils sont nombreux les enfants victimes qui sont suivis par l’Action Sociale et l’Association solidarité jeunes. «Nous essayons de leur trouver quelque chose à faire. Certaines ont été placées dans des salons de coiffure, d’autres dans des ateliers de couture. Ceux qui sont toujours à l’école bénéficient d’une prise en charge de leur scolarité, etc. Il faut donner à ses mômes un second espoir et rassurer leur famille», déclare Adama KONOMBO de l’ASJ. Ceux qui sont restés dans l’anonymat vivent donc seuls leur douleur, ou avec leur famille. Arriveront-ils à la surmonter ? Rien n’est moins sûr.
Le médecin légiste français Ambroise TARDIEU est le premier à avoir alerté ses confrères par rapport aux mauvais traitements et aux violences sexuelles infligés aux enfants. En 1867, il publie un article sur les sévices subis par 339 fillettes de moins de 11 ans, victimes de tentatives de viols ou de viols avérés. Ses travaux resteront sans effet, tant au niveau des sociétés savantes que des pouvoirs publics. Il a fallu attendre les années 70 du siècle dernier pour que s’initie une véritable prise de conscience. Néanmoins, le mal a eu le temps de prendre racine et continue de faire des ravages. Les chiffres (voire en encadré) donnent froid au dos..

Par Frédéric ILBOUDO



25/09/2008
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