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Les TIC dans le monde des aveugles au Burkina Faso/Mythe ou réalité ?

 

Mythe ou réalité ?

 

Le fossé numérique entre l’Afrique et les autres continents est  grand.  A l’intérieur des pays en Afrique, il  l’est tout aussi entre les hommes.  Dans une telle situation, quel sort est alors réservé aux personnes aveugles et malvoyantes dans un pays comme le Burkina où les TIC semblent jusque-là l’apanage de quelques privilégiés ? L’ABPAM, (Association burkinabé des personnes aveugles et malvoyantes) par son action en faveur de ces «laissés pour compte» montre à tous que le handicap ne fait pas d’eux des «sous-hommes». Les TIC, ils peuvent en user à merveille !  

 

 Le mal les a frappés. Il les a frappés, soit depuis leur naissance ou alors même qu’ils étaient en pleine possession de leurs capacités physiques et intellectuelles. Aujourd’hui, M Christophe OULE, Mlle Martine BILGO, M Souleymane OUEDRAOGO, Mlle Viviane ZONGO, et d’autres anonymes sont aveugles. Aveugles oui, mais pas désespérés. Ils ont refusé la fatalité et se sont adaptés  à leur nouvelle condition : celle de la  déficience  visuelle. Après le braille, aujourd’hui, ils utilisent les TIC (téléphone cellulaire, Internet, traitement de texte, scannage texto, etc.) peut-être mieux que vous et moi. Mais pour en arriver là, que de combats, que d’apprentissages. «Ils sont nombreux les Burkinabè qui n’ont pas accès aux TIC. Alors un aveugle comme moi devant  un ordinateur, cela  était impensable il y a de cela quelques années. Aujourd’hui encore, je suis comme un extra terrestre au milieu des personnes voyantes». Dit Martine BILGO aveugle depuis l’âge de 8 ans et actuellement étudiante en  année  de licence de droit à l’Université de Ouagadougou. La plupart d’entre eux  ont découvert les TIC il y a moins de 5 ans. Et depuis, elles sont devenues pour eux un outil important, voire indispensable, et surtout source d’espoir. «C’est en 2004 que j’ai entendu parler de l’outil informatique lors d’un voyage en Europe, mais je ne l’ai touché qu’en 2007 et depuis, nous sommes devenus inséparables. Mieux, il m’accorde mon autonomie vis-à-vis des autres par rapport et à mes études. Je traite maintenant mes fiches de travaux dirigés (TD)  toute seule. Je   scanne le document que je transcris en braille. Cela me  fait gagner mon autonomie et  du  temps.  Ce qui n’était pas le cas avant».  Soutient Martine.

 

 

 

JAWS leur ouvre les portes du monde

«Nous sommes dans une nouvelle dynamique avec les TIC. Elles nous permettent de nous hisser à un niveau assez élevé de connaissance. C’est l’une des clés de voûte du développement, et l’outil informatique adapté aux personnes aveugles  de l’ABPAM nous permet de réparer cette injustice et nous donne une aptitude à affronter les différentes concurrences dans le domaine de l’emploi». Affirme Souleymane OUEDRAOGO aveugle depuis l’âge de 7ans des suites de la rougeole. Il est détenteur d’une maîtrise en droit des affaires de l’Université de Ouagadougou. Pour que Martine, Souleymane et l’ensemble  des déficients visuels puissent rentrer dans le monde du virtuel, l’extraordinaire, comme on dirait, est venu d’un logiciel. «JAWS (Job Access With Speech) est le  logiciel qui permet aux  déficients visuels d’accéder à l’outil informatique, à Internet, sous Windows. Plus exactement, il s'agit d'un logiciel de lecteur d'écran, qui transforme un texte affiché sur un écran en un texte oral ou un texte en braille». Nous a confié M Christophe OULE, responsable de la formation en informatique à l’ABPAM, ancien ingénieur en génie civil et lui-même aveugle depuis 2003. Ce logiciel  permet aux personnes aveugles de faire avec des raccourcis grâce au clavier de Jaws, toutes les actions que les utilisateurs ordinaires  font avec la souris, aidés par la plage braille, qui reflète pour l’utilisateur déficient visuel les éléments sur l’écran.

Un signe d’espoir pour tout un monde

Les  TIC  adaptées pour personnes aveugles et malvoyantes sont récentes et il faut reconnaître que leur accès semble encore une affaire de privilégiés. En effet le logiciel a été d’abord conçu en 1989 par l’Américain Ted HENTER pour le rendre accessible aux déficients visuels. A partir de 1993, suite à l’évolution de l’informatique, le logiciel fut adapté à l’interface graphique Windows d’où le nom de JFW (JAWS For Windows). Dans un pays comme la France, son introduction, selon certaines sources, s’est faite dans les années 90. «L’installation de l’unité informatique adaptée aux personnes déficientes visuelles à l’ABPAM s’est  faite  en Avril 2007, avec l’appui de l’Association Valentin HAOUI. Depuis, elle a insufflé un vent d’espoir au sein des personnes aveugles. Même les tout-petits veulent s’exercer sur l’outil» Affirme M OULE.  Et Souleymane OUEDRAOGO de renchérir : «Les TIC sont un signe d’espoir pour nous. Elles nous permettent de réussir, de réussir mieux que les autres. Dans un pays comme la France, certaines entreprises trouvent qu’elles ont beaucoup plus à gagner en recrutant des aveugles pour faire le travail avec l’outil informatique que des personnes voyantes. Nous faisons le même boulot, sauf que les voyants, à force de fixer l’écran de l’ordinateur  se fatiguent plus vite que nous qui ne faisons qu’écouter pour travailler». Viviane ZONGO qui a la maîtrise en psychologie de l’Université de Ouagadougou et est malvoyante depuis son bas âge, elle, clame : «Les analphabètes du 21ème siècle, dit-on, seront ceux qui ne maîtriseront pas les TIC. Il n’est pas question que les aveugles et malvoyants soient de ceux-là. J’ai fait mes premiers pas avec les TIC en 2003-2004 et depuis je suis accro». Le téléphone portable non plus n’a plus de secret pour eux. «Je pensais que le portable était réservé aux personnes voyantes. Mais quand je l’ai touché, j’ai brisé le mythe, et aujourd’hui j’utilise le portable convenablement. Le seul bémol pour l’heure, c’est que j’ai encore besoin des voyants pour connaître la teneur de mes SMS» confie Martine. Et Souleymane d’ajouter «le cellulaire était comme de l’or pour nous. Lorsque le défunt président de l’ABPAM, le Dr DIARRA, recevait un appel en public on était fier. Les gens savaient ainsi que les personnes aveugles peuvent aussi utiliser le cellulaire. Mon premier portable, je l’ai eu en 2002, c’était un cadeau du Dr DIARRA». Martine, Souleymane, et Viviane sont certainement des précurseurs des TIC dans le milieu des personnes déficientes visuelles au Burkina. Au-delà de leurs aspirations qui  sont d’être magistrat, avocat, psychologue,  ils n’ont qu’un appel à l’endroit des gouvernants. «On ne finira jamais de les interpeller. Le handicap, c’est dans la tête. Rien, ni aucun handicape n’est insurmontable. Ils n’ont qu’à nous mettre à l’épreuve et ils verront de quoi nous sommes capables. Que les autorités songent à nous afin que la légalité ne soit pas que de droit, mais aussi dans les faits. Et que les opérateurs de téléphonies pensent à nous en activant le système de synthèse vocal qui augmentera notre autonomie dans la gestion de nos cellulaires». Espérons que cet appel ne tombera pas dans l’oreille de sourd, et que M. Joachim TANKOANO, ministre en charge des TIC, réagira promptement.

 

Frédéric ILBOUDO

 

 

              

 

 



12/03/2008
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