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Manu Dibango/ Toujours égal a lui même

MANU DIBANGO  

 

Comme un assassin qui retourne toujours sur le lieu de son crime, Manu Dibango ne pouvait s'empêcher de revoir Abidjan qui lui offrit «des années de création». C'était il y a 30 ans. Souvenirs d'une époque qui a hissé la Côte d'Ivoire au rang de plaque tournante du show-biz et qu'évoque avec passion et reconnaissance ce monument de la musique mondiale.

 .Manu Dibango, c'est plus de 70 ans d'âge,(73 ans plus exactement) et des chansons qui font office désormais de classiques de la musique africaine en cinquante ans de carrière. (Il coupe)
- J'ai surtout envie de remercier le bon Dieu d'être encore là et de bavarder avec vous parce que c'est ça la mesure du temps, c'est précisément quand tu trouves de nouvelles générations comme vous et que, par un miracle, je suis encore là, je fais encore la musique. Ce que je peux donc souhaiter aux jeunes artistes, c'est de faire ce qu'ils ont choisi et le faire toute leur vie. Quelle soit longue ou courte. Mais essayer de faire le mieux possible ce qu'on a, ce que le seigneur vous a donné, essayer d'aller au maximum de ça. C'est ce que je peux dire. Parce que 50 ans, c'est quand même un demi siècle. C'est une carrière en dents de scie : un bon jour, un mauvais jour, deux mauvais jours, trois bons jours. Mais vous continuez quand même parce que c'est le destin de l'homme de continuer à se battre.

. Un demi siècle sur le devant de la scène, c'est long. Manu a-t-il un secret pour une telle longévité ?
- Ah ! s'il y avait un secret, j'allais vendre le brevet et aller me reposer tranquillement (rires). Vous savez, je suis comme vous, je suis étonné aussi. Je suis comme tout un chacun, je me réveille comme tout le monde chaque matin, j'ai des projets comme tout un chacun. Je constate que je suis toujours là.

. Avec la même passion ?
- Oui, oui, oui ! C'est la chance que j'ai. Je constate que j'ai le même amour. Chaque jour, quand je me réveille, je vois mon saxo, je suis content de le revoir et je pense que lui aussi est content de me voir. J'ai toujours la passion pour la musique. Alors là, la même passion comme au premier jour.

. Comment vous faites.
- Mais, je ne peux pas vous dire. Chaque jour, je joue du saxo, je m'entraîne. Vous savez, le musicien, c'est comme un athlète. Il faut s'entraîner tous les jours. Je vous quitte là tout à l'heure, je vais aller faire une petite demi-heure de saxo. C'est la condition pour être toujours là, quoi. Il faut s'entraîner souvent tout seul et ça te donne de l'humilité parce que tu sais qu'il faut chaque jour essayer de faire mieux. En musique, il y a toujours quelque chose à apprendre, à faire.

. Est-ce qu'il vous est arrivé qu'en Europe l'on ait voulu vous imposer de nouveaux sons afin de rentrer dans le système des majors ?
- Ce n'est pas ça le plus difficile pour moi. Le plus difficile pour eux, à l'époque, c'est que mon nom Dibango sonnait exotique. Et ils m'ont dit : «mais tu joue du saxo comme un Américain, pourquoi tu ne t'appelles pas Dickson, Johnson ?». J'ai dit : "hé !!! (Rires). Instinctivement j'ai dit «comment, je dois changer de nom pour faire de la musique ?» Ils disent : «Ouais, tu joues comme. tu ressemble à...». J'ai dit non, moi je ne ressemble pas au Noir-Américain, c'est plutôt lui qui me ressemble.

Donc, pendant très longtemps, j'ai été confronté à cette histoire-là parce qu'ils voulaient m'assimiler à un Noir-Américain parce que je jouais du saxo, du piano alors qu'à cette époque, les Africains jouaient de la guitare ou chantaient.

. Vous parliez de la vision d'une Afrique culturelle que vous nourrissiez au début de votre carrière avec certaines personnes. Cinquante ans après qu'en est-il de cette vision ?
- Elle a abouti du fait qu'il y a beaucoup d'artistes aujourd'hui. Quand nous, on débutait, on ne pouvait pas compter les artistes africains sur les cinq doigts de la main. Voyez, 50 ans après, il y en a plein qui parcourent le monde. Ça veut dire qu'au départ, ça paraissait être une utopie. Par exemple, moi, j'étais le renégat de ma famille parce que j'ai renoncé aux études pour faire de la musique. Mes parents ce sont saignés pour que je sois «quelqu'un» et j'ai choisi la musique qui n'est vraiment pas un métier en Afrique puisque tout le monde fait de la musique. C'est dire aussi que le mot «vocation» n'existait pas encore en Afrique. C'était ça le premier combat.

Le second, c'était de dire aux Blancs que moi, je suis toujours africain, je ne suis pas américain. Et le troisième, c'est que tu sois accepté dans le milieu international. En partant d'Afrique, il y avait très peu de chance. La première personne qui a pu franchir historiquement cette barrière, c'est Myriam Makéba, en raison de l'apartheid et de son talent. C'est donc elle qui, avec son mari, Hugues Massékéla, a ouvert ce chemin, à l'époque.

. Vous êtes à nouveau à Abidjan 30 ans après. Certainement des souvenirs.
- Naturellement et j'en ai énormément. Il y a trente ans de cela ici, en 1977, j'enregistrais la musique du film d'Henry Duparc «Herbe Sauvage». Là-dedans il y avait des titres comme «Awa», «Miss kavasha» comme (il fredonne) «Abidjan city ooohh taka gon gongon..». Pendant mon séjour qui a duré 4 ans, Abidjan m'a inspiré. Pour moi, c'étaient les années de création. Et j'ai été très créatif, grâce à Dieu. Il faut dire aussi qu'il y avait l'environnement qui était propice. Vous savez, on ne peut pas créer en dehors de l'environnement.

. C'était quoi votre environnement ?
- Disons, c'est le rêve que nous avions à cette époque-là. Notamment monter un orchestre de facture internationale avec Mamadou Ben Soumahoro qui m'avait fait venir d'ailleurs. Il m'a fait appel parce que d'abord j'avais du succès avec «Soul makossa», ensuite le vieux (Houphouët Boigny) aimait les Africains gagneurs. L'autre hypothèse, c'était de réunir des ta-lents ici. Il y avait, par exemple, Maïga Boncana qui dirigeait le centre des arts (INSAAC) et moi l'orchestre de la RTI. En plus, il y avait plusieurs autres orchestres. Donc, musicalement parlant, il y avait un besoin d'ouverture à cette époque-là.

. Cela a porté aujourd'hui, n'est-ce pas ?
- J'estime qu'on a eu raison. Il fallait une clef pour susciter des vocations. Disons que nous avons été des révélateurs, des catalyseurs de quelque chose. C'est après mon départ qu'Alpha Blondy, comme par magie, est arrivé et ses premiers albums, c'était quand même avec des musiciens de l'orchestre de la Rti. Donc il y a eu une sorte de synergie et à partir d'Alpha ça a été l'ouverture. Et maintenant vous avez une danse populaire que tout le monde connaît. Trente ans après nous, la musique ivoirienne marche partout. En somme, on n'a pas eu tort.

. Vous revenez en Côte d'Ivoire pendant qu'elle sort doucement d'une crise politique, qu'est-ce que vous en éprouvez ?
- Je ne peux qu'être heureux. Il y a de drôles de hasard. J'arrive au moment où l'on fait la paix, je ne peux que m'en réjouir. D'ailleurs, cette paix, j'étais à Ouaga, quand elle a été scellée, quand le président Gbagbo et Soro signaient cet accord avec le président Compaoré, je n'étais pas loin (rires). Je suis d'autant plus heureux que cette paix s'est faite entre nous, sans aucune influence étrangère. C'est ça qui est bien.

. Venons-en aux deux faits qui ont marqué votre carrière. Les scandales de plagiat par Michael Jackson et Jennifer Lopez.
- Oui, on peut le dire, ce sont des scandales ! Mais pour moi, ce sont surtout des reconnaissances. C'est comme les jeunes, ils ne savent plus ce qu'ils aiment. C'est dire que Michael a écouté ce titre qu'il a aimé. Quand je suis allé aux Etats-Unis en 1973, Michael était un adolescent. Ce titre l'impressionne donc et il le prend. Mais ce que je déplore, c'est que cela ne s'est pas fait légalement. Ce qu'on peut retenir par contre, c'est que l'un des plus grands vendeurs de disque au monde s'est penché sur la musique d'un Africain. C'est ce qu'il faut retenir. Le procès, ça, ce sont des histoires d'hommes, ce n'est pas un problème spirituel. La spiritualité vient à la reconnaissance. Et après l'homme arrive avec ses qualités et défauts, quoi.

. Jennifer Lopez ?
- Elle, également, a aimé ma composition apparemment, puisqu'elle l'a reprise. Mais avec elle, ça a été plus vicieux. Elle a mis le titre dans son DVD mais ne l'a pas mis sur son album. Quand le procès est arrivé elle a dit : «oui, mais je ne l'ai pas mis sur l'album». Nous, nous avons répondu que c'est bien. Mais quand un aveugle est devant sa télé, c'est vrai, il ne voit pas mais il entend.

. Il semble que vous avez refusé plusieurs fois de venir pour des spectacles en Côte d'Ivoire.
- Ça, ce sont des histoires pour juste alimenter la presse à scandale. Moi, j'ai une équipe, une agence qui m'encadre avec 20 salariés que je paie. Dont Claire qui est là et qui est ma plus proche collaboratrice (son manager et agent). Je travaille à longueur d'année mais ce n'est pas moi qui négocie les contrats. Quand un contrat est bien fait, je l'honore et si c'est mal fait, je n'y vais pas. C'est aussi simple que ça.

. Le saxo et Manu Dibango, certainement une histoire d'amour.
- Oh, oui ! qui dure depuis cinquante ans sans compter les années d'apprentissage.

. Vous étiez récemment à Ouaga, invité d'honneur du Fespaco, aujourd'hui vous êtes fêté par le Kotéba et les Go. Ça ressemble à un passage de témoin. Quel héritage de Manu Dibango aux générations futures ?
- J'ai formé énormément d'artistes, énormément. En cinquante ans, il y en a beaucoup qui sont passés entre mes mains et en ce qui concerne la Côte d'Ivoire, on parle de Aïcha Koné, Ernesto Djédjé, François Lougah. Au Cameroun il y a eu Francis Bébey.

En fait, j'ai eu la chance d'avoir appris la musique et de savoir l'écrire. Il faut apprendre à écrire la musique mais on n'en parle pas assez. Il faut s'enlever de la tête qu'on n'apprend pas la musique parce qu'on a le rythme dans le corps. Non, ça c'est la meilleure façon d'enfoncer nos musiciens. On pourrait ne pas apprendre la musique à quelqu'un, mais on apprend la technique musicale à quelqu'un pour qu'il puisse mieux s'exprimer.

Top visage



04/02/2008
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