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TIKEN JAH FAKOLY/ “Je n’étais pas dans le bon camp”

 

TIKEN JAH FAKOLY

Je n’étais pas dans le bon camp”

Après cinq ans d’exil volontaire, le reggaeman, Tiken Jah Fakoly, est revenu dans son pays le 6 décembre dernier. Il y a donné deux concerts à Abidjan et à Bouaké. Tout en évoquant les raisons de son exil, le chanteur en profite pour parler de ses amis, d’Alpha Blondy et surtout de sa famille.
 
  - • Ton concert à Abidjan s’est déroulé sous haute surveillance…
- Ouais, c’était normal car c’était un meeting musical (Rire s aux éclats). Je trouvais juste qu’il y ait autant d’éléments des Forces de l’ordre parce qu’on ne sait jamais qui peut faire quoi. Dieu merci, le spectacle s’est bien passé. Tous ceux qui étaient dans le stade se sont éclatés.

• Quand tu es revenu de ton exil, tu étais logé dans un hôtel…
- Je n’ai pas habité dans un hôtel hein ! Officiellement, j’étais à l’hôtel. Mais bon voilà, j’étais à la maison.

• Dans ta maison de Yopougon ?
- Oui, j’étais chez moi, à Yopougon.

• Tu n’as pas encore dit pourquoi tu avais quitté le pays.
- Non je ne veux plus parler de ça parce qu’aujourd’hui je suis dans une dynamique de réconciliation et partant, de recherche de la paix. Si je dois expliquer pourquoi je suis parti, il faut que tout le monde s’explique.

• En tant qu’artiste, te sentais-tu menacé par une situation politique ?
- Bien sûr ! H Camara était un artiste mais il a été tué.

• Est-ce que tu dérangeais ? Et qui dérangeais-tu ?
- Je crois que pendant ces dix dernières années, j’ai été parmi les artistes qui ont quand même bousculé. H et Marcellin Yacé ont été tués mais ce n’étaient pas des politiques. Je pense que j’ai bien fait de partir et je n’ai aucun regret. Je suis parti pour des raisons de sécurité. Et vous avez vu que ce que je disais quand j’étais en exil, ceux qui étaient ici ne pouvaient pas le dire. Ce n’était pas pareil. Je suis parti pour rester constant dans mon combat et continuer à dire ce que je pense.

• Tu pensais qu’on t’en voulait au pays ?
- Effectivement ! Je pense que j’aurais pu avoir des problèmes puisque j’allais continuer à dire ce que j’avais envie de dire même avec des armes autour. Comme j’ai des enfants, de la famille qui pensent à moi et je sais que j’ai des millions de fans en Afrique, je n’allais quand même pas les priver de me voir à cause d’un orgueil du genre je ne bouge pas.

• Sur le plan musical, qu’est-ce qui a marché pour toi durant ces cinq années ?
- Je n’ai connu que du bon. J’ai reçu les Victoires de la musique en 2003 en France. Tous les journaux télévisés des pays d’Afrique francophone l’ont montré sauf mon pays, la Côte d’Ivoire. Les Victoires, c’est la meilleure distinction qu’un artiste peut avoir en France. C’est comme quand un chanteur est vainqueur des Grammy’s Awards aux Etats-Unis. Je suis le premier Noir résident en Afrique qui a obtenu cette distinction. J’ai cru que ça allait être un évènement dans mon pays mais ça ne l’a pas été. Après, j’ai reçu deux Disques d’Or avec les albums Françafrique (2002) et Coup de gueule (2004). Le patron de ma maison de Disques vient de me confirmer que normalement le disque d’Or de L’Africain, mon dernier album tombe le 15 janvier 2008. Donc, en gros, tout a marché pour moi durant ces cinq ans où j’ai dû faire trois cents concerts à travers le monde.

• Est-ce que le fait qu’Abidjan ait fait un black-out sur ton succès aux Victoires t’a touché ?
- Non, pas du tout. Je me présente comme un Africain avant d’être un Ivoirien. Si l’Afrique m’a soutenu et qu’un pays ne l’a pas fait, ce n’est pas grave.

• Tu as eu quand même des remords puisque tu en parles aujourd’hui…
- Oui, ça aurait été bien que la télévision de mon pays en parle. Mais, bon, je n’étais pas forcément dans le bon camp.

• Et qu’est-ce qui n’a pas marché ?
- Mes amis et mon pays m’ont manqué. Mais j’avoue que j’ai été tellement bien accueilli au Mali que je n’ai pas senti que j’étais en exil. Il y a des choses qui me manquaient comme la mer, la lagune… Mais je me suis aussi fait des amis. C’est vrai qu’à un moment donné j’avais envie de revenir dans mon pays. C’est mon pays au même titre que tous ceux qui le dirigent. Mais il me fallait attendre le bon moment et c’est ce que j’ai fait.

• A qui tu as pensé en premier quand tu as foulé le sol ivoirien ?
- J’ai pensé à mon fils, Ibrahim Fakoly Doumbia, qui a maintenant neuf ans et demi. Il est resté à Yopougon avec sa mère pendant ces cinq ans.

• Tu ne l’as pas vu pendant tout ce temps-là ?
- Il est venu me voir plusieurs fois à Bamako. Mais j’avais envie de le voir dans l’atmosphère d’Abidjan.

• Est-ce que tu as pensé un jour le faire partir d’Abidjan ?
- Non, non ! Il n’avait pas de souci puisque sa mère est une Bété. Donc il était bien dans son milieu (Rires). Et puis, c’est la première fois que j’en parle dans un journal. Personne ne sait que j’avais un fils ici.

• Que devient Awa Fakoly Doumbia, ta fille aînée ?
- Elle ne va plus à l’école. Elle vit en France et elle fait de la couture. Et ce que je n’ai pas dit, c’est que je vais être grand-père bientôt.

• Ah bon ?
- Oui, ma fille s’est mariée à un Malien et elle attend un enfant. Donc j’attends impatiemment mon petit-fils ou ma petite-fille pour aller en tournée avec lui ou avec elle. J’ai eu ma fille aînée quand j’avais 18 ans. Aujourd’hui, elle en a 21. Tu vois, j’ai la barbe qui blanchit… (Rires).

• Le pays est engagé dans un processus de paix avancé. Qu’en dis-tu pour ta part ?
- Je dis aux Ivoiriens que depuis 1993, les politiciens nous ont mélangés. Aujourd’hui, on a vu la différence entre la paix et la guerre. On a tous compris que personne ne détient le monopole de la violence. Les Ivoiriens se sont compris et je pense qu’on va amener le développement, la démocratie. On va se mettre ensemble pour construire la Côte d’Ivoire depuis qu’on a compris qu’elle n’est la propriété de personne.

• Dans le temps, tu refusais d’être reçu par un chef de parti politique. Ce n’est plus le cas depuis ton retour.
- Tout simplement parce que l’actualité m’oblige à les rencontrer. On me taxe toujours de rester loin pour critiquer. Là, j’ai l’occasion de discuter avec le Chef de l’Etat, le Premier ministre, les présidents des institutions et des partis politiques… Je vais leur dire ce que je pense. Maintenant s’ils ne m’écoutent pas et si un jour ils entendent dans mes chansons que je ne suis pas content d’eux, ils ne seront pas surpris. Mais au moins, c’est bien qu’on se rencontre.

• A part les hommes politiques, est-il prévu que tu rencontres Alpha Blondy ?
- Ce n’est pas moi qui le prévois. Ce sont les circonstances qui le feront. Je pense que j’ai montré que je suis open. Et puis il y a une vertu qu’il faut prendre en compte en Afrique, c’est le droit d’aînesse. Alpha est mon grand frère ! Je l’ai dit quand j’étais sur la scène.

• C’est quoi le fond du problème qui t’oppose à Alpha ?
- Il n’y a pas de fond de problème. Ce qui arrive est un peu normal. C’est naturel. Aux Etats-Unis, on a toujours fait une comparaison entre Michael Jackson et Prince. On en fait toujours entre Olomidé et Papa Wemba ou entre Werrasson et JP M’Piana au Congo. Peut-être, Alpha Blondy et moi sommes tombés dans le piège. Sinon, c’est des types de comparaisons qui sont quand même bien car elles poussent les uns et les autres à travailler davantage.

• Crois-tu qu’Alpha Blondy n’aime pas vraiment ta tête ?
- Non. En fait, je ne connais pas Alpha Blondy. Je l’ai rencontré une fois à Abidjan et une autre fois à Paris. C’est tout. On n’a pas causé. Vous voyez ce que je veux dire : lui et moi, on ne se connaît pas. Quand on s’est croisés, on s’est juste salués ! Je ne jugerai pas Alpha Blondy.

• Même quand il dit que ta victoire aux Victoires de la Musiques a été achetée.
- Ça, c’est Alpha Blondy et sa conscience. Je crois qu’il a dit ce qu’il pensait. Maintenant, je ne vais pas dire qu’il est un bon gars ou pas. Moi, je pose des actes.

• Il t’arrive de jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur ?
- Bien sûr ! Ça a été très difficile pour moi dans l’évolution de ma carrière. J’ai nettoyé des salles, j’ai collé des affiches, j’ai vendu moi-même mes cassettes… J’ai tout fait. Il n’y a pas une étape que j’ai sautée. Je pense qu’il y a la chance, mais il y a aussi le travail qui paie.

• Tu ne regrettes pas ton passé ?
Je n’ai pas à regretter quelque chose de mon passé. Car le fait que j’aie persévéré a payé.

• Es-tu surpris de ce qui t’arrive ? Est-ce que je suis surpris ?
- Je pense que j’ai eu beaucoup de chances. C’est vrai que j’ai collé des affiches mais je suis sûr qu’il y a dans ce monde des artistes qui ont fait la même chose que moi mais ils ne sont pas arrivés. J’ai beaucoup de chances d’arriver au bon moment. Il y a eu beaucoup d’artistes pour qui, ça a bien marché. Et c’est pendant ce temps qu’il fallait frapper à l’extérieur. Ils sont restés à tourner à l’intérieur et au moment d’attaquer l’extérieur, le plat était un peu froid.

• Est-ce que tu écoutes tes chansons ?
- Je les écoute mais avant la sortie de l’album. Ça me permet de me corriger au fur et à mesure que j’écris.

• Quelle autre musique tu écoutes ?
- J’écoute beaucoup de musique mandingue, du reggae comme Alpha Blondy, Fadal Dey. J’écoute tout le monde.



15/01/2008
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