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Enseignent coranique

Enseignent coranique

Au cœur des réalités des talibés burkinabè de Ségou/Mali

 

La migration transfrontalière des enfants prend de plus en plus de l'ampleur. Celle des élèves des écoles coraniques appelés « talibés » est encore plus préoccupante. La situation est tellement critique que le gouvernement malien a convoqué un forum sous-régional sur la question. Une rencontre qui nous a permis de nous plonger dans l'univers et les réalités des talibés burkinabè de Ségou. La quête du savoir islamique n'est pas de tout repos pour ces mômes qui bravent toutes sortes de difficultés, toutes sortes de souffrances pour acquérir « le savoir ».

 

Mardi 27 mars 2007, 17h 45, les participants au forum sur la migration des enfants « un risque au trafic et à l'exploitation » : cas des enfants talibés achèvent la visite du barrage de Markala. Au même moment, Amado SOW vient de sortir des eaux où il prenait son bain du soir. Lui est un enfant talibé. Il a 7 ans. A cet âge, nombre d'enfants sont en classe préparatoire première année mais lui, écûme les rues et les concessions de Ségou à la recherche de sa pitance quotidienne. A l'âge où nombre d'enfants sont à l'école maternelle grande section (5 ans), lui, était remis à un maître coranique à Markala. Depuis deux ans donc, son destin est entre les mains de ce maître.

 

A 7 ans, déjà, Amado n'a pas la notion du temps. Il ne comprend ni le bambara, la langue locale, ni l'arabe qu'il commence à apprendre. Il n'a que sa langue maternelle, le peulh, et cette phrase « Guidal garibou » qui veut dire « donnez à Dieu , l'étranger est devant votre porte », qu'il prononce à peine convenablement pour quémander la pitié des passants. Ses pieds fendillés, les haillons qu'il porte sur le corps frêle vous apprennent au simple regard qu'Amado porte un lourd fardeau. Les 125 FCFA que nous lui avons donnés n'ont même pas décroché le moindre sourire de sa part. Il n'a fait que marmonner quelque chose en arabe, certainement pour nous dire merci, et que Dieu nous bénisse. Deux ans déjà qu'il a été confié au maître coranique, deux ans qu'il n'a plus vu ses parents, deux ans qu'il n'a pas entendu la voix de sa mère, deux ans qu'il n'a reçu aucune caresse de sa part. A croire même qu'il a oublié à quoi ils ressemblent. Depuis ce temps qu'il est à l'école, son quotidien est fait d'apprentissage du Coran et de mendicité. A la tombée de la nuit, les participants au forum sont allés se restaurer et ont regagné leurs chambres bien « fèfètisées » car en cette période de canicule, ces chambres fortement climatisées étaient les refuges idéales. Au même moment Amado, lui, regagnait ses camarades, une cinquantaine, autour d'un bûcher, comme un boy scout en campagne, pour mémoriser les versets. A-t-il mangé ? Personne ne s'en préoccupe, pas même son maître. Le sommeil, il ne le gagnera que vers une heure ou deux heures du matin. Là où il apprend ses versets, là est son gîte. Et c'est à même le sol d'où exhalent des effluves de la terre mouillée de sa salive qui aura coulé durant son sommeil comme pour tout bon enfant de son âge, de sa sueur et pourquoi pas de temps à autres de son pipi pendant qu'il rêve de sa mère, que le frêle moufflet las de la journée trouvera un semblant de repos.

Demain sera un autre jour pour lui. Demain est aussi un autre jour pour les participants au forum. Loin de la ville et des bruits de Ségou. Loin de Amado et de ses réalités les participants venus du Burkina, de la Guinée, du Mali, de la Côte d'Ivoire et du Sénégal se penchaient pourtant sur la problématique des enfants talibés. Pendant 4 jours, les questions de la migration des enfants et particulièrement les talibés, leur socialisation dans le contexte africain, leur exploitation économique par la traite et la mendicité, les stratégies de protection et de réalisation de leurs droits étaient en discussion. Au soir du vendredi 30 mars 2007, les « forumistes » sont parvenus à des conclusions et des recommandations. Amado, tout comme les autres enfants qui sont dans sa situation, dans la sous-région ne savent pas que des pistes de solutions ont été élaborées à Ségou. Des pistes de solutions qui, si elles sont prises en compte par les décideurs politiques, les partenaires techniques et financiers et les leaders religieux musulmans peuvent être le début de la fin des souffrances des enfants talibés dont Amado. Pour l'heure, ce n'est que des recommandations et des déclarations de bonnes intentions couchées sur du papier. A 12 heures 45, alors que les participants se congratulent pour 4 jours de travaux bien accomplis, personne n'est à mesure de dire où se trouve Amado, ce qu'il fait, et ce à quoi il pense.

 

Amado n'est pas seul

A l'instar de ce petit garçon, ils sont nombreux des enfants burkinabè qui sont à Ségou et dans plusieurs autres villes du Mali à la conquête du savoir islamique. Leur nombre, personne ne saura le dire.

Nombre de maîtres coraniques burkinabè sont venus résider à Ségou.

 

Migrant avec des enfants auxquels ils comptent administrer le savoir. C'est le cas de Ali KOANDA qui a quitté la région de l'Ouest avec 40 enfants pour s'établir à Ségou. A la lumière de certains faits, les enfants ne sont pas là rien que pour acquérir le savoir islamique.

Ils sont utilisés à d'autres fins, surtout dans la mendicité et les travaux champêtres dans les zones rizicoles de Niono. Selon des témoignages recueillis sur place, dès leur arrivée, les enfants sont conduits de juin jusqu'à décembre dans les champs. Chaque groupe compte en moyenne 20 à 30 personnes. Le travail consiste à enlever les pépinières, à nettoyer les bassins et à récolter le riz de la contre saison.

 

Des conditions de vie minables

En plus de la faim, de la pauvreté et des travaux physiques intenses qui parfois dépassent leurs capacités physiques, les enfants subissent toutes sortes de maltraitances physiques et psychologiques. Mal vêtus, ces enfants venus pour acquérir le savoir et contraints à ces travaux ne sont pas à l'abri de l'humidité constante des zones rizicoles encore moins des nuits glaciales. Ils ne connaissent pas la moustiquaire et dorment à même le sol à côté du feu. Paludisme, dermatoses, plaies ouvertes infectes, diarrhées, conjonctivites, poux, toux sont les lots quotidiens de ces mômes.

 

A la vérité, plus que le souci d'assurer aux enfants une éducation religieuse complète, c'est la crise économique qui est à l'origine de ce déplacement d'enfants qu'on ne peut nourrir, surveiller et éduquer. Les maîtres coraniques tirent du travail de leurs élèves des marges bénéficiaires considérables.

Et croire que la justification de ces conditions insoutenables infligées à ces pauvres enfants est l'apprentissage du Coran.

 

Des maîtres coraniques sous les verrous

La traite et l'exploitation économique des enfants sont condamnées par la loi. Mais malgré tout, des réseaux ont vu le jour pour exploiter l'innocence des enfants. Certains arrivent à passer entre les mailles des filets, d'autres sont arrêtés. Au mois de mars 2007, 27 maîtres coraniques avec plus d'une centaine d'enfants ont été interceptés alors qu'ils conduisaient ces derniers à Niono. Niono, localité réputée champ de tortures et de souffrances pour les enfants.

Niono, où sont concentrés les champs de riz du Mali. Des 27 maîtres interceptés et incarcérés à la prison de Ségou, il faudra l'intervention de la communauté musulmane de Ségou et du président de l'Association des maîtres coraniques, le chef de la Tidjania, M. Assim SOW pour en libérer 26 et les rapatrier au Faso. Le seul à rester sous les verrous, un certain Issaka OUEDRAOGO, semble, aux dires des autorités judiciaires, un récidiviste notoirement connu des palais de justice. L'heure est grave et c'est la vie de milliers, voire de millions d'enfants qui est en danger.

Amado pour l'heure ne connaît pas encore les champs rizicoles de Niono. Mais pour combien de temps encore ?

Juin, c'est dans à peine 2 mois et lui n'a que 7 ans. Pourra-t-il supporter la charge de travail ? Le seul à pouvoir décider de son sort, c'est son maître coranique. Que décidera-t-il pour lui cette année ? La question reste posée.



11/04/2007
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